Je ne souhaite pas que [les femmes] aient le pouvoir sur les hommes, mais sur elles-mêmes.
Mary Wollstonecraft
Dans une interview, à l'occasion du 8M [8 mars, Journée internationale des droits des femmes], on m'a demandé quel était, selon moi, notre rôle dans l'avenir du féminisme. « La femme doit être ce qu’elle veut », ai-je répondu, d'une manière peu élaborée. Une réponse médiocre à première vue, je ne l'ai pas articulée à partir de la théorie, ni de la référence, de la citation, de l'intersectionnalité, et je n'ai pas pris en charge le plafond de verre, ni l’écart, l'ampleur de la disparité entre les genres, les classes ou les ethnies, la distribution des soins, la violence, la sexualité, la culture des affections, etc. Je n'ai pas pensé les approches interminables. J'ai répondu de l'ennui total de cette éternelle perception du devoir des femmes, il semble que nous ayons toujours des devoirs, comme si nous n'avions pas le droit de nous construire à partir d'un autre endroit que la responsabilité.
J'oserais dire que c'est ce devoir féminin permanent qui est responsable du fait que nos conversations sont remplies de phrases telles que : « peut-être je l'ai mérité », « c'est ma faute », « peut-être c'est quelque chose que je n'ai pas fait », « peut-être c'est quelque chose que j'ai fait » ...et comme me l'a dit une amie au hasard d'une conversation : Jusqu'à quand ? ¡Assez ! ¡Nous ne sommes pas religieuses... ! Et oui, en tout cas, moi je ne le suis pas. Alors dans ce cas, je dois exorciser ce qui reste de l'école de religieuses où je ne suis JAMAIS allée. Il semble qu'il n'était pas nécessaire d'être éduqué et endoctriné pour distiller la culpabilité, elle nous est fournie par l'esprit saint depuis l'air.
En pensant à cet habiter et se construire en tant que femme du point de vue du devoir, je me suis souvenue de ma plus grande référente féministe, qui n'est aucune de celles que l'on pourrait penser, elle n’est ni plus ni moins que ma grand-mère. Elle, contrairement à tous les autres qui se sont occupés de mon éducation, a été la seule à me donner une instruction, la plus importante, et que jusqu'à récemment, je n'avais pas donné la vraie valeur : « LUTTEZ POUR VOTRE BONHEUR ». Le fait est que les femmes passent leur temps à se battre pour d'autres choses. Le féminisme est une manière de vivre individuellement et de lutter collectivement. Simone de Beauvoir.
En fait, rétrospectivement, ma grand-mère était la seule femme proche de moi, que je voyais enfant, qui faisait de ce slogan sa vérité. Elle a été mariée jusqu'à la trentaine et, tant qu'elle était mariée, elle utilisait son prénom, Sonia. Lorsqu'elle a divorcé, avec deux filles, elle a commencé à utiliser son deuxième prénom, Gladys. Elle ne l’aimait pas, mais c'était celui qu'elle avait choisi pour elle et pour toute la vie qui l'attendait. Il y a quelque chose de libérateur à se voir dans un nouveau contexte. Les gens n'ont aucune idée préconçue de qui vous êtes, et il y a un soulagement à savoir que vous pouvez vous re-créer. Carrie Brownstein, écrivaine nord-américaine.
À l'époque, ma grand-mère subvenait à ses besoins en fabriquant des maillots de bain pour un magasin de luxe, mais elle savait clairement que ce n'était pas la vie qu'elle voulait pour Gladys. Alors, avec 30 ans et deux filles à sa charge, elle a fait la démarche pour obtenir un diplôme d'infirmière à l'Université du Chili, où elle a été admise. Elle a ainsi étudié la carrière qu'elle voulait, puis a travaillé là où elle voulait, elle s'est spécialisée en soins infirmiers cardiologiques et a été infirmière en chef dans l'hôpital le plus important de sa ville. Plus tard, on lui a proposé un travail à l'étranger, qu'elle n'a pas accepté, mais elle a voyagé où elle voulait, elle a parcouru plusieurs pays, elle s'est construit une maison à la plage comme elle le voulait et un jour, elle est partie seule pour parcourir toute la Carretera Austral [Route Australe, Patagonie, Chili], dormant sur la route, comme un disciple de Jack Kerouac. Elle m'a emmené aux Etats-Unis et m'a appris à apprécier les turbulences dans les avions, « le moment le plus drôle du voyage », m'a-t-elle dit, puis elle m'a invité à visiter des ruines pré-incas en Bolivie, à travers une montagne d'argile, au milieu d'une tempête, avec un chauffeur à moitié ivre "comme c'est amusant, si tes parents savaient" - m'a-t-elle dit.
Je ne lui ai jamais connu d'amants, bien qu'après sa mort j'ai appris qu'elle en avait eu plusieurs. Je l'ai toujours vue comme une femme professionnelle réussie, courageuse, peut-être solitaire, mais qui aimait sa solitude et ses loisirs, elle peignait des tableaux, faisait des choses artistiques très étranges, écoutait de la musique classique, prenait soin de ses plantes en chantant faux, aimait ses animaux, se faisait faire des vêtements sur mesure par une couturière désignes par elle, elle prenait toujours soin d'elle, elle cuisinait des recettes excentriques qu'elle rapportait de ses voyages, et quand je restais chez elle, nous sortions faire du vélo. Elle ne me laissait jamais l'appeler « grand-mère » car ce mot, selon elle, rendait les femmes obsolètes.
Aujourd'hui, en tant que féministe, en m'éduquant quotidiennement, sans savoir encore exactement ce que c'est que d'être une féministe, je pense, je sens et je crois que le rôle des femmes dans ce qui va arriver par rapport au féminisme est que toutes les Sonia parviennent à être Gladys, la femme qui était heureuse d'être ce qu'elle voulait être.
* Gabriela Paz Morales Urrutia
[Journaliste et poète féministe]. Journaliste diplômée en communication sociale par l'Université Diego Portales. Collabore avec le Diario de cine y literatura, Cactus cultural, chroniqueuse pour le journal Sueco Bulletin. Publications de poésie : « El silencio de los intervalos » 2016, « Fieras » 2018, avec Signo Editorial, « Pilucha » 2020 et « La Geométrica danza de las asimetrías » par BAP, 2021.
[1] Traduit de l’espagnol et l’anglais par Andrea Balart-Perrier.
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