[esp] Constanza Carlesi – Resurrecciones: Frutas y verduras

Cuando la piel descansa, una fruta lánguida se desliza junto a otra.
Dos mujeres caen como dos alivios.
Se acompañan a la hora de caer.
Irreverentes ante la gravedad que por ley insiste, levanta y aprieta.
Todavía yo no entiendo por qué sentí tanta vergüenza de mis frutos y sus verduras. Si componen mi espacio-cuerpo-mítico: tierra de mis saberes, arrogancias y entregas más puras.

La honestidad y el peso de una fruta bíblica cuelga. Balancea la culpa sagrada que rezaron tantas tumbas.
Sigue cayéndose el peso a diario.
Cada año la obligación de una ley disfrazada.

Miro a mi madre y me veo.
Miro a mi abuela y estoy cerca.
Me miro y se me olvida olvidar.

Soy consciente. El punto que conecta el sentido.
La libertad en caída libre. Mi propio peso que se sostiene tranquilo.
Un cuerpo dividido. Soy en partes desiguales.

Yo y mis fragmentos libres, detienen segundos de tu sonrisa ensalada.
Porque cuando la piel descansa, pestañea una puesta de sol,
tu manzana se acongoja liviana
y mis frutos relajados, suspiran verduras.
    
Hace mucho tiempo que ya no me pudro.



* Constanza Carlesi Del Río (Santiago, Chile, 1985). Poeta, actriz, performer y tatuadora. Co-fundadora de GESTA, Festival de teatro porteño de mujeres (2014). Máster en Estudios hispánicos avanzados, Universitat de València (2016). La Estratega (Petit Editor, 2017) es su poemario firmado como La Conirina. Radicada en Francia, publica Carmesí Delirio (Printcolor, 2020).



© Morritxu. @morritxu




[fr] Lou Cadilhac - Daphné et la main scriptrice


(…)se tenir droit dans la plaie sacrée, 
la voir et la montrer en silence.

Mohamed Mbougar Sarr, 
La plus secrète mémoire des hommes 


L’œil de Lili s’ouvre difficilement, comme tous les jours, comme à chaque fois ; cette permanence itérative : d’abord, la première chose : un océan de lumière verte, dans les yeux, et le contact avec la pierre rude, sur la peau. Le deuxième œil s’ouvre, presque indépendamment du premier. Les deux, joints, regardent ce cosmos crypté qui se resserrera ensuite immanquablement. 
    Il lui fallait toujours retrouver doucement le halo vert pour se rappeler où elle était : cette verdure et ce crissement d’ailes, la pierre pressée contre la charpente de sa peau ; une odeur, enfin (ou d’abord), qui s’infiltrait tapageusement par l’ensemble de ses pores, cette odeur millénaire qui avait existé parmi les plus anciennes civilisations, aux côtés des divinités protéiformes d’autrefois. 

    La main est encore muette ; elle doit, plus tard, prendre le protagonisme dans cette scène antédiluvienne vécue par une enfant, dans une grotte, parmi les cimes d’une montagne. La main, le manuscrit, la recherche, encore et toujours ; Lili pense à la main, aux signes qu’elle doit tracer ; tracer, encore, les signes effacés chaque jour dans cette antichambre caverneuse. 

    Le village était infiniment éloigné ; pourtant, elle n’avait pas mis très longtemps à monter le sentier. Le chemin qui montait à la grotte s’enlaçait autour de la montagne, la serrait : étreinte tenace. Elle était montée, pieds-nus, en s’agrippant parfois aux végétations accoudées à la pente qui bordaient le sentier. Sa main s’était attardée le long des tiges, semblait attendre quelque chose d’elles, avant de se résoudre à les laisser tomber dans la terre si ancienne. 
    Ses pieds s’étaient avancés, et une incommensurable solitude était montée avec eux, faisant naître dans sa poitrine une nostalgie lointaine, sans apparence signalée mais si perspicace dans la façon dont elle était venue la blesser. 

    Lili avait, à un moment, levé les yeux, et ce mouvement d’élévation avait mis un peu d’air acidulé dans ses poumons ; mais elle le savait, une fois que l’ascension avait commencé, le mouvement ne pouvais plus s’arrêter, il n’y avait plus que le sacrifice, et la grotte. L’oiseau plein de plumes virevoltait autour d’elle, faisait des mouvements paraboliques, prenait parfois un peu de hauteur, puis amorçait une courbe descendante, ses plumes d’acier profanes invariablement inclinées ver le sol. 

    A présent, le sentier est derrière elle et le rite a commencé, elle n’a plus, au loin, qu’une perception abrutie d’un halo vert. 
    Il faudra se concentrer sur la main, et elle regarde le prolongement de son épaule continuer la ligne de son membre, prendre un virage incertain au niveau du coude, poursuivre son élan insensé jusqu’au poignet pour arriver enfin à la source de la vie, à ce membre inouï qui pouvait transfigurer le message, révéler l’invisible, à cette main si petite et si puissante, dont les doigts venaient gratter, doucement mais avec une impertinence tenace, la planche de bois de l’autel. Ce bois vint : réminiscence fugace, lui rappeler la scène qu’on avait érigée la veille au milieu du village (instant antérieur à l’oubli de toute temporalité dans ses veines dilatées). 

    Dans ce village-là d’où elle venait et où elle rentrera, il y avait eu une grande fête, la veille, ou bien des années auparavant. Souvent, comme ça, on bougeait les corps, on se mouvait avec une insouciance des grandes envolées, on se regardait et on souriait, beaucoup, avec les dents et les parures dorées qui venaient ennoblir les peaux quotidiennes. Des fêtes, la musique cadencée, les mouvements en l’honneur des Divinités de toujours, les regards entre tous, entre tous ceux qui ne savaient pas que tous les jours Lili devaient les sauver de la malédiction cryptée, qu’elle devait repartir à la recherche du manuscrit, tous les jours leur ignorance et l’autel de son sacrifice, mais elle ne pouvait rien leur dire avec les mots, il fallait écrire, écrire sur ce support si dur. 

    Il pouvait, lui, réduire au silence (combien d’autres en seraient capables ?). Si elle tentait de raconter le rituel avec le fond de la bouche, une pression multiséculaire venait grandir dans son abdomen, et puis, une explosion sanglante le long de son palais ; aucun mot ne sortait, il ne restait que la main et le manuscrit qu’il fallait retrouver sur les planches de bois, le manuscrit et une recherche, aletheia. Les Anciennes aussi avaient connu ce phénomène, si longtemps reproduit, ineffable à tout jamais, des estomacs qui se révulsent et saccadent la sempiternelle condamnation de ces peaux-là, du voile qui couvre les lèvres asséchées. Silences tournoyants, silences agonisants, silences pleins de détonations sourdes, silences pleins, pleins de yeux fatigués et grands ouverts vers les horizons de la solitude. 

     Alors elle avait regardé la fête, avec une bienveillance envers leurs gestes lestes, avec une envie de les rejoindre mais ce serait pour plus tard, ce serait pour le jour où sa main aura trouvé les symboles sacrés ; pour elle, un mouvement continu du corps, jusqu’aux doigts, vers les pieds 
    Il avait aussi assisté à la fête, personne ne connaissait son alliance avec la montagne, ils le regardaient avec les mêmes yeux dont on se regarde entre soi, ils lui parlaient avec le même langage, et elle aussi, Lili, elle avait des mots pour lui quand ils n’étaient pas dans le ventre de la montagne.

    Mais maintenant, alors que le temps remonte jusqu’à ses yeux et rend les motifs verts flous, il n’y avait que du silence dans sa bouche et parfois juste un bruit guttural de souffrance contenue, un mugissement des entrailles ballantes dans une intériorité incommensurable et sinueuse. 
    La durée, lorsqu’il s’approchait, se dilatait toujours de façon différenciée ; une lenteur s’insinuait d’abord en elle par le bas, torpeur insoutenable, puis remontait dans la partie supérieure et semblait y expérimenter un infini incertain avant de tomber d’atteindre le centre de Tout, de la main et du reste.
    L’oiseau était là ; en permanence, voletant sans queue ni tête d’une paroi à l’autre de la grotte, percutant de ses ailes sombres et métalliques la roche dure et lisse, et ce mouvement faussement aérien venait produire un crissement terrible, évocateur de contacts qui autrefois aussi avaient engendré la mort. 


    La main, quant à elle, tente d’échapper à l’envoûtement environnant, recherche le contact avec un langage, avec la possibilité d’une empreinte scripturale, avec l’essence de la rédaction d’un manuscrit essentiel qui viendrait normalement s’écrire du bout de ces doigts-là qui, selon les autres, appartiennent à un corps qui porte son nom ; pour l’instant, il y a un océan vert devant ses yeux, qui s’étend à perte de vue, il y a un flamboiement doré qui vient lui gratter la rétine. Elle essaye de tendre son petit corps vers cet océan vert, elle essaye de le rejoindre et elle sent que cette rencontre ne tient qu’à une chose, à la possibilité que les mots s’inscrivent, à la possibilité qu’un manuscrit boisé lui redonne le nom de l’existence ; quand le manuscrit sera retrouvé, elle aura contre sa peau si usée ce phylactère-là qui la protégera de la montagne, de Lui, et du temps qui engourdit la pensée. 
    La roche était en elle, la main se débat, elle continue et conserve ce palimpseste incessamment convoqué dans le creux de sa paume, mais la lenteur s’empare d’elle et alors que le corps ne peut presque plus bouger le cœur entreprend un battement frénétique ;
    Un siècle passe précipitamment, et puis, après le passage de plusieurs dynasties, au sein de ses yeux, il y a encore un abrutissement vert qui vient flotter dans les rétines ; elle y aperçoit, la sortie de la grotte, le dehors, et puis, être avec eux, mais il fallait que la main parle, le ventre était inutile pour ce message-là, il n’y avait que la main et l’œil verdâtre contemple l’ongle qui continue désespérément de gratter, contre le temps assourdissant, contre la dureté de la pierre ; devenir laurier, s’enfoncer dans l’océan vert au-delà de ces veines, de l’autre côté de la rive de sa peau, chanter un jour les plumes des oiseaux roses et bleus ; devenir laurier pour ne pas mourir visiblement, maintenant, devenir laurier, lâcher le manuscrit, 

    Mais, maintenant, des respirations, la main, encore, une fois, un bruit, silence blanc, secousse immense, terrible, la mort, les plumes, les feuilles, le laurier, la main, encore, la main, la feuille, morte, la mort, secousse, secousse, brisé, le corps, brisé, encore, la mort, brisée, la main, encore, le laurier, brisé, mort blanche, blanc, mort, secousse, chute, fatale.

……………………………………………………………………………………

    La main de Lili retombe, le manuscrit se résorbe comme on meurt en hiver. Son corps, à lui, retombe aussi, sur le côté, sur le dos. Mouvement descendant victorieux. Elle fixe encore les feuilles vertes qui apparaissent par la fenêtre de la chambre de ses parents. 
    Silence, si plein, olfactivement. 
Elle sait ce qu’il va dire, enfin. « Il ne faut rien dire à maman, c’est notre jeu à nous ». Elle ne bouge pas, son corps est tout entièrement massacré. Il lui enfile de nouveau sa culotte, lui remet sa jupe en place, et se dirige vers la porte qui mène à l’escalier.

     Le sacrifice est terminé, jusqu’à ce que demain, encore, les massacres au sein des montagnes reprennent, ici et dans les maisons du voisinage où chaque jour, d’autres enfants venaient s’échouer le long de la mort de leur voix 


    ; jusqu’à ce que, finalement, dans des temps prédits seulement par les évangiles apocryphes, le manuscrit soit révélé, jusqu’à ce que leurs mots à elles viennent peupler toutes les peaux, jusqu’à ce qu’elles saccagent les grottes consciencieusement ; 

    Alors enfin : une voix qui chante, un oiseau léger, un horizon azuré. 



* Lou Cadilhac 
J’ai toujours trouvé dans la littérature l’espace de ma plus intime intériorité. Je suis passionnée par la compréhension de mon existence et du monde, fascinée par l’altérité qui est soi et par l’étranger qui nous appartient. 




[esp] Catalina Illanes - Relicario

    Mi corazón es un complicado relicario donde nadie descansa en paz. Deambula por todas partes y me desconcentra, perdiéndome en una selva platónica y cruel. 

    Quizás la culpa es de este deseo incandescente. Me imagino una llamita, como la del Sagrado Corazón. Y esa llama me arde todo el tiempo. Me quema y se lleva todo lo cuerdo que hay en mí.

    Por ejemplo, me gustaría decirle que venga. Que estoy sola. Que me puedo arrancar un rato de ser la que siempre soy o la que soy ahora. Que podría ser de nuevo esa de antes, esa que no conoció y que yo tengo medio enterrada. 

    Esa que le diría que sí. Quiero verte. Esa que no tenía nada que perder porque no arriesgaba nada más que el corazón, tan acostumbrado a las heridas y a sanarse en camas ajenas. 

    No le hablaría del incendio en mi cabeza. No le diría lo que quiero que me haga ni que me arden sus ideas, sus palabras. Su falta de culpa. Me arde su descaro. No le diría nada. Me lo comería con los ojos y lo dejaría explorar. Mi esfuerzo sería mantener el juego a mi medida.

    Pero nada de eso va a suceder. No voy a mirarlo hasta el desgarro porque no le voy a decir que estoy sola y que puede venir. Porque nunca estoy sola. Porque esa de antes se me perdió en la selva y no la dejo volver. Porque me enredan mis concepciones de siempre y me tropiezo con mi idea del amor.  

    A cambio, que se conforme con la extensión de mis secretos y las velas que les prendo a los muertos que se pasean por ahí. Quizás, en ese rincón oscuro, puedan encontrarse y hacerse. Comerse las ganas que se tienen y después volver a la nada. A la mirada furtiva pero ya sin reservas ni suposiciones. Al hambre perpetua de la posibilidad.



* Catalina Illanes nació en Santiago de Chile en 1980. Estudió Letras, es profesora de Lenguaje y Magister en Psicopedagogía. Formó parte del taller de escritura autobiográfica de María José Viera Gallo, entre 2016 y 2019. Le gusta la acuarela y el collage @cip_ilustraciones. Tiene dos hijos y dos gatas.



© Catalina Illanes.



[esp] Constanza Carlesi – Manifiesto de la muerte

¡Ni una menos! Gritaron
más de mil personas,
entre ellos hombres y mujeres.
Los perros gemían, los gatos se erizaban, la mar rugía,
el bosque se erguía,
y las montañas contemplaban.
Todo seguía como siempre, aunque salir a la calle parecía nuevo.
¡Ni una menos! Gritaron,
pero la mujer ya había gemido, mientras su cuerpo entero se erizaba, los celos del hombre rugían
y el egoísmo se erguía.
¿Dónde estaban los jueces ciegos?
¿Dónde el mínimo criterio que dicen siempre?
¿Dónde el prejuicio de la calle manifestándose?
¡Ni una menos! Gritaron.
De nuevo una mujer entre los perros, de nuevo un gato envenenado,
de nuevo el mar contaminado,
de nuevo hectáreas de bosque quemado, 
de nuevo las montañas impasibles contemplaron lo imposible.
Una tarde tranquila de sur austral,
allá muy lejos de Grecia y su mitología olímpica:
un Edipo, que para su mayor fortuna y obediencia freudiana,
le saca los ojos a Electra.
¡Ni una menos! Gritaron. Pero las montañas continuaron impasibles.
¡Hasta cuándo patria ciega!
¡Hasta cuándo mutiladas! Hasta que los perros,
los gatos, la mar, la flora y fauna
enteras se rebelen
en contra del silencio de la montaña.
Y gritaremos: ¡ni una menos!
Rugiremos.
Y de la boca del volcán
saldrá el espíritu de la muerte a dar un discurso repetido que partirá así:
Adán violó y asesinó a manzanazos a Eva...
¡Ni una menos! Gritaremos
¡Ni una menos! Cantaremos
¡Ni una menos! Alrededor del fuego.


[1] Puedes escuchar el voz-poema aquí: link. Voz poeta: La Conirina. Guitarra: Daniel Bardon. Clarinete y voces: Ellen Indigo. Registrado por EMSONA Studios, Valencia, España 2018.



* Constanza Carlesi Del Río (Santiago, Chile, 1985). Poeta, actriz, performer y tatuadora. Co-fundadora de GESTA, Festival de teatro porteño de mujeres (2014). Máster en Estudios hispánicos avanzados, Universitat de València (2016). La Estratega (Petit Editor, 2017) es su poemario firmado como La Conirina. Radicada en Francia, publica Carmesí Delirio (Printcolor, 2020).




[fr] Aurora Simond - Alma, la femme animal

Feu

Dans chaque rébellion
il y a un feu
un feu qui arrache
un feu qui embrase
qui manifeste
et qui demande justice

Mais dans ce même feu
il y a le désir  
qui danse avec la passion et l’envie
feu militant, sacré, sauveur et savoureux
loin des interdits, du raisonnable, du stable
ce feu réveille la chaleur
là où tout a été  glacé
de tristesse
de soumission forcée
de manipulation
d’ennui
d’usure
ou de fatigue
le feu soude les luttes
réchauffe les cœurs
rapproche les corps


[…]

Un matin d’été, Alma […] entend le sifflement d’un oiseau. Il est beaucoup plus mélodieux que d’habitude. Elle lève la tête et elle le voit.  C’est une créature magnifique - Un oiseau gigantesque avec des plumes multicolores qui lui tombent sur les pattes. […] Alma attrape l’oiseau merveilleux par le cou et monte sur son dos et ensemble ils s’envolent dans les airs.
Alma ne se retourne pas.

[…] Mais un jour, alors qu’elle est en plein vol elle entend la voix de son grand-père.

« Alma va doucement je suis pressé »

[…] Elle arrête son envol et tombe dans le nid avec son oiseau. Son oiseau est là mais il n’a plus ses plumes multicolores, il est tout gris. Alma se rapproche de lui il est froid. Il lui tourne le dos. Alma tente de se rapprocher de lui mais il reste muet. Brusquement, il se retourne. Il a les yeux rouges, nerveux et il les bouge dans tous les sens. D’un bond il se dresse sur ses pattes et se met à bouger les ailes dans un rythme effréné. Alma a peur. Elle s’éloigne. Ce n’est plus du tout son oiseau enchanteur et multicolore mais une créature maléfique endiablée. Il continue d’agiter ses ailes frénétiquement et quand enfin il arrête cette danse diabolique il tombe sur le sol, épuisé.
Il semble mort. Vite partir rassembler toutes ses affaires. Partir.
Se sauver.
Partir- partir -partir.

Mais alors qu’Alma va franchir la porte, l’oiseau se redresse ouvre ses yeux veineux et de son bec jaillit un fleuve de sang.
Un fleuve de sang qui emporte Alma dans un désert.


Fleuve de sang


Trace de coup - à l’intérieur
et ce fil qui file et défile – le temps
depuis combien de temps
depuis combien de temps
Je ne suis pas sadomasochiste
no soy sadomasoquista

emportée par un fleuve
fleuve de sang
la branche se brise et Alma est là
nue
 recroquevillée sur elle même
plein milieu du désert
ses plumes colorées
sur le sable brûlant
arrachées violemment
rivières de sang séché
empreintes le long du corps
depuis combien de temps



    Alma a l’impression d’être là depuis des jours, des semaines peut être bien des mois. Au-dessus d’elle le soleil  est toujours aussi aveuglant, imposteur. Elle a chaud, elle a le pas lourd, le front coulant, la bouche sèche, le soleil au zénith marque ses épaules d’un rouge criant et lui fait peler la peau. Elle marche et elle a soif, elle a soif elle pleure, elle a soif elle pleure. Elle a soif elle pleure, elle a soif elle pleure …Elle boit tout ce qui de ses yeux jaillit comme une rivière d’eau salée.
Alma est tellement absorbée par ses émotions qu’elle ne se rend pas compte que le désert s’est enveloppé d’un ton bleu argenté et qu’il fait un peu plus frais et qu’au-dessus d’elle un éclat phosphorescent a pris place. Alma tourne tout à fait la tête vers le ciel. […]

« Alma, tes os ne t’abandonneront pas » lui dit la Lune

Alma baisse les yeux et elle se rend compte qu’elle n’a plus des jambes mais des pattes. Qu’elle n’a plus une bouche mais une gueule avec de longues dents pointues et que de sa gueule jaillit un hurlement, un hurlement de louve. Alma est devenue la bête. La bête qu’on dit sauvage, la bête qu’on traque. Mais pourtant elle est toujours la même. Seule une nouvelle force l’habite, une force que personne ne pourrait dompter ou faire taire. Elle se met à courir dans ce désert. Sa fourrure blanche fend ce paysage fait de bleu et la course de l’animal est accompagnée d’étoiles filantes. Comme dans un feu d’artifice. Une passoire scintillante.  Elle voit qu’une étoile se détache et qui danse plus distinctement que les autres.

Elle se rapproche, elle se rapproche de plus en plus. Elle est tout prés. Là, juste dans le creux de son pelage blanc.

« Au moment où tu me vois, je me suis déjà éteinte. Avec mes sœurs nous sommes les gardiennes de ta mémoire. Ceux qui ont de la mémoire peuvent vivre dans le fragile temps présent. Ceux qui n’en ont pas ne vivent nulle part. Alma tes os ne t’abandonneront pas, tu survivras. »

[…] Au loin on voit un groupe de vieilles femmes voilées de noir avancer en regardant le sol. Elles sont une dizaine, elles portent à leur cou et sur leur tête des ossements des créatures du désert. Ces vieilles femmes vivent dans un villages caché perdu dans le désert. Il semblerait -parce que beaucoup ont entendu parler d’elles mais très peu les ont vues- qu’elles soient à la recherche de personnes perdues, égarées, mortes ou assassinées. Et régulièrement elles sortent de leurs tanières pour aller à la recherche de ces âmes oubliées. Depuis des siècles ces vieilles femmes marchent en regardant le sol, leurs longs cheveux blancs au vent, le regard rivé sur le sable à la recherche des moindres ossements. Elles parlent entre elles dans un langage étrange fait de cris et de croassements d’animaux, elles fuient la présence des êtres humains mais jours et nuits elles restent entre elles. Ces vieilles femmes on les appelle : Las Hueseras

Quand les vieilles arrivent juste au-dessus des ossements d’Alma, elles savent qu’elles sont au bon endroit. Elles commencent à gratter la terre et quand elles ont reconstitué la belle architecture blanche de l’animal et que son squelette dans son entier gît sur le sol ; les vieilles femmes font un feu, déposent le squelette à côté des flammes, forment un cercle, se prennent par les mains et ferment les yeux. Une des vieilles femmes, certainement la plus âgée, les joues tombantes, les yeux creusés, le front ridé, la main tremblante, frappe la peau. Plus elle frappe plus les os se mettent à bouger. Bientôt les os se recouvrent de peau.
Et la peau se recouvre de poils.
La louve revient - La louve revient- La loba.
Une des vieilles femmes s’approche de l’animal.
Prend sa gueule entre ses mains.
Dépose sa mâchoire sur son cœur
Et là, la bête ouvre les yeux, bondit sur ses pattes
Et détale dans le désert.
Dans ses mains tremblantes la plus vieille des femmes tient le corps nu d’Alma complètement asséché, la bouche ouverte, elle semble morte. Les autres vieilles femmes se rapprochent du corps et d’un air entendu commencent à l’humidifier mais elles savent toutes qu’elles doivent partir en direction de la falaise. Ce désert surplombe l’océan mais seules las Hueseras connaissent le chemin qui mène jusqu’à la mer. Quand les vieilles femmes sont toutes alignées au bord de la falaise, leurs longs cheveux blancs au vent, la plus vieille des femmes […] fait un pas de plus vers le rebord de la falaise et jette Alma dans l’océan.


Ave Maria mi alma

Mon cœur dans mon corps saigne
et mon sang chauffe dans mes veines
au bain Marie

Sainte Marie Priez pour nosotras
donnez-nous empathie compréhension et douceur
et tout le blablabla de ta Marie pleine de grâce

Priez pour nous et ces pauvres pécheurs
puisque nous sommes la source et  le fruit - la cause et la conséquence
ils peuvent nous brûler les ailes, nous arracher toutes nos plumes,
 nous faire crier, nous prendre et nous prendre pour des folles
nous faire mouiller, nous assécher et nous laisser couler

Oh sainte Marie je vous salue et m’agenouille devant vous
Sainte Marie priez nous mais surtout pour eux ces pauvres pécheurs
qui ont oublié que de Sainte je n’ai rien
sinon mon amour pour la vie
que de sainte je n’ai rien sinon le sacré de mon pouvoir
qui aiguise la force de mon âme pour me relever - me transformer
de sainte je n’ai rien sinon le sacré de mon pouvoir

Ave Maria reza por nosotras
pero sobre todo por ellos, los pecadores
para que no se olviden que de santa no tengo nada
sino lo sagrado de mi poder
que da fuerza a mi alma
para levantarme y transformarme

Et ce n’est pas parce qu’avec mes grands-mères sous emprise
j’ai récité vos prières et regardé « autant en emporte le vent »
que je vous suis
De sainte je n’ai rien que le sacré de mon pouvoir
Je ne crois pas en votre dieu
ni en votre institution
mais au pouvoir de mi alma
De sainte je n’ai rien que le sacré de mon pouvoir
Je ne crois pas en votre dieu
ni en votre institution
mais au pouvoir de mi loba



Fragment de la pièce  « Alma, la femme animal ».
Conte musical & live painting.
(Jouée par le Collectif LaCueva à Lyon, France, juillet 2022).
Écriture et jeu : Aurora Simond
Illustrations et costumes : Arty Mori
Musique et arrangement sonore: Stéphane Reynaud
Soutien à la création: Mercedes Alfonso



* Aurora Simond. Sa plume évolue auprès de sa compagnie de théâtre Teatro Anonimo, la compagnie de danse Instante au Chili -pays où elle a vécu 7 ans- puis à Lyon avec son collectif LaCueva avec qui elle organise entre autres, des scènes ouvertes féministes. « Alma, la femme animal » est son premier récit de création, spectacle féministe, associant récit conté, performance dessinée à l’encre & musique live.



    © Arty Mori






[eng] Begoña Ugalde – The relief after the retch. Notes on Angela Neira's “The orthopedics of language”

    Like any work of art that knows how to dialogue with its space and context, Angela Neira's third collection of poems, published this time by the Spanish publishing house Sabina, raises more questions than answers. Questions that, at the same time, address the paralyzing questions, what we should write about/what we should not write about, which have always been imposed on women writers, and which have historically served as gags, formulated from the disdain or distrust of the power of our voice. 

    Recognizing that it is not enough to reflect on language, but that it is necessary to unravel it, to observe it at its root, and also as a physical organ that has been conditioned, regulated, denied, the author addresses these questions from the same writing gesture. With the lucidity that comes from experiencing how liberating the decision to write can be, in spite of everything. Silence is no longer a comfortable place for us. We no longer accept its over-understanding us in ellipsis, that is to say, we will no longer remain silent, and if the language does not work, we will create another one (p. 56). Now that everything seems to be changing vertiginously, and the old paradigms are finally falling, this collection of poems is a call to realize that there is a canon of "beautiful" words, just as there is a canon of bodily beauty, which tells us how we should look, how to say, how to approach, how to bond. That is why it is no longer surprising to see in the media the most grotesque representatives of patriarchy appropriating "good" words, such as justice, truth, peace. Words that, when spoken from a podium, with confident intonation, become empty and meaningless. But we know that every monument is linked to a war. And that war, besides being a business, is a language that does not really belong to us. It is therefore necessary to deny even the alphabet, which has been taught to us together with punishment, together with the dictation. We must also question the way in which we have been led to believe that time works, through the Gregorian calendar, and reinvent another sequence to order the days, in tune with our cycles and seasons. 

    From the very constitution of the verses, we are reminded that all dictatorships have tried to prohibit the original, non-hegemonic languages. Because trying to homogenize the use of language, to take away its complexity, subtracts identity, suppressing the particular and unique visions and cosmogonies. And, on the contrary, by questioning ourselves, and distancing ourselves from the old paradigms, new certainties emerge: All questions if they are in the first person I answer (p. 54). Thus, recognizing that the imposition of language has been done by domesticating the body, the search for new ways of saying becomes an organic exercise, turning writing into an act of healing and salvation. The exercise Angela proposes then, through a rhythm and a cadence that seem to be heard when read, is to approach words from their performativity. Because the speaker knows that, no matter how much force is used, it is not really possible to extirpate the subterranean language, the one that pulses other meanings and that which ultimately constitutes the poetic saying. Thus, by opening the body as a channel, the poet recovers a first language. And keeping her mouth open, without articulating a word or a cry, she allows the retch to emerge. A retch that in turn allows the purging of the authoritarian tones. Emptying that is consummated in the collection of poems, in each verse, emphasizing its constitution, conceiving the taste buds as new senses, which allow to perceive other flavors, which in turn allow to rearticulate a previous, original and mutable music. Each poem thus functions as an incantation, which allows us to see the words anew, in their form, in their scratches, in their signifier. In this way it re-appropriates them, it frees them from meanings that do not identify us.

  And through this gesture, she vindicates the autobiographical register, which allows us to recover a common experience. Embracing the child, who recognizes her distance from her father's language and the nostalgia of a silenced mother tongue. Who babbles to recover the speech that is composed of guttural rhythms, emphases linked to hunger, thirst, the need for contact. Where phrases, not always decipherable, are interwoven with fluids. Inviting us to listen to this chaotic pulse, to give it oxygen and space in our daily speech and in our writing. To reconfigure a language that incorporates intonations, lexicons, ways of saying, beyond the logos. To decipher silence, at the same time that we move the language, making it sound in a powerful exercise that demystifies and refutes consecrated figures such as Neruda: that language enters/to be as absent/should not be a classic (p. 46). Thus, this visceral writing frees itself from an orthopedics that has hurt us and left deep marks. Like someone who stops wearing a corset, which stiffens the posture, braces that regulate the bite, or insoles that guide the footprint. Like those who get out of the drawing and color the whole page. Like someone who removes the monument. And writes on the walls of the city in flames, with spray, with light, with rage and without fear: that every concept be eliminated/ that every statue be eliminated/ that we root out the inheritance of the father/ from the root (p. 39).



* Begoña Ugalde. Author of numerous plays. She published the collections of poems El cielo de los animales [Animal heaven] (2010, Calle Passy), La virgen de las Antenas [The virgin of the antennas] (2011 Cuneta), Lunares [Lunar] (2016 Pez Espiral), Poemas sobre mi normalidad [Poems about my normality] (2018 Ril), La Fiesta Vacía [The Empty Party] (Tege) and the collection of short stories Es lo que hay [It is what it is] (2021 Alfaguara).



[1] Translated from the Spanish by Andrea Balart.


        © Angela Neira-Muñoz



[fr] Begoña Ugalde - Le soulagement après la nausée. Notes sur « L'orthopédie de la langue » d'Angela Neira

    Comme toute œuvre d'art qui sait dialoguer avec son espace et son contexte, le troisième recueil de poèmes d'Angela Neira, publié cette fois par la maison d'édition espagnole Sabina, soulève plus de questions que de réponses. Des questions qui, en même temps, abordent les questions paralysantes, ce que nous devons écrire/ce que nous ne devons pas écrire, qui ont toujours été imposées aux écrivaines, et qui ont historiquement servi de bâillons, formulés à partir du mépris ou de la méfiance envers le pouvoir de notre voix. 

    En reconnaissant qu'il ne suffit pas de réfléchir sur le langage, mais qu'il est nécessaire de le démêler, de l'observer à sa racine, et aussi comme un organe physique qui a été conditionné, régulé, nié, l'autrice aborde ces questions à partir du même geste d'écriture. Avec la lucidité qui vient de l'expérience de ce que la décision d'écrire peut avoir de libérateur, malgré tout. Le silence n'est plus pour nous un lieu confortable. Nous n'acceptons plus qu'il nous sur-comprenne en ellipse, c'est-à-dire que nous ne nous tairons plus, et si le langage ne fonctionne pas, nous en créerons un autre (p. 56). À l'heure où tout semble changer vertigineusement, et où les anciens paradigmes finissent par tomber, ce recueil de poèmes est un appel à prendre conscience qu'il existe un canon de « beaux » mots, tout comme il existe un canon de beauté corporelle, qui nous dit à quoi nous devons ressembler, comment dire, comment nous approcher, comment créer des liens. C'est pourquoi il n'est plus étonnant de voir dans les médias les représentants les plus grotesques du patriarcat s'approprier les « bons » mots, comme justice, vérité, paix. Des mots qui, lorsqu'ils sont prononcés depuis une estrade, avec une intonation assurée, deviennent vides et sans signification. Mais nous savons que chaque monument est lié à une guerre. Et que la guerre, en plus d'être un business, est un langage qui ne nous appartient pas vraiment. Il faut donc renier même l'alphabet, qui nous a été enseigné en même temps que la punition, en même temps que la dictée. Il faut aussi remettre en question la façon dont on nous a fait croire que le temps fonctionne, à travers le calendrier grégorien, et réinventer une autre séquence pour ordonner les jours, en accord avec nos cycles et nos saisons.

    Dès la constitution des versets, on nous rappelle que toutes les dictatures ont tenté d'interdire les langues originales, non hégémoniques. Parce qu'en essayant d'homogénéiser l'usage de la langue, en lui ôtant sa complexité, on soustrait l'identité, en annulant les visions et les cosmogonies particulières et uniques. Et, au contraire, en se remettant en question, en s'éloignant des anciens paradigmes, de nouvelles certitudes émergent : Je réponds à toutes les questions si elles sont à la première personne (p. 54). Ainsi, en reconnaissant que l'imposition du langage s'est faite en domestiquant le corps, la recherche de nouvelles façons de dire devient un exercice organique, faisant de l'écriture un acte de guérison et de salut. L'exercice que propose alors Angela, à travers un rythme et une cadence qui semblent s'entendre à la lecture, est d'aborder les mots à partir de leur performativité. Car la locutrice sait que, quelle que soit la force employée, il n'est pas vraiment possible d'extirper la langue souterraine, celle qui pulse d'autres significations et celle qui constitue finalement le dire poétique. Ainsi, en ouvrant le corps comme canal, la poète récupère une langue première. Et en gardant la bouche ouverte, sans articuler un mot ou un cri, elle laisse émerger le haut-le-cœur. Un haut-le-cœur qui permet à son tour la purge des tonalités autoritaires. Vide qui se consomme dans le recueil de poèmes, dans chaque vers, en soulignant sa constitution, en concevant les papilles gustatives comme de nouveaux sens, qui permettent de percevoir d'autres saveurs, qui permettent à leur tour de réarticuler une musique antérieure, originale et mutable. Chaque poème fonctionne ainsi comme une incantation, qui nous permet de voir les mots à nouveau, dans leur forme, dans leurs rayures, dans leur signifiant. De cette manière, elle se les réapproprie, elle les libère de significations qui ne nous identifient pas.

    Et par ce geste, elle revendique le registre autobiographique, qui nous permet de retrouver une expérience commune. Embrasser l'enfant, qui reconnaît son éloignement de la langue de son père et la nostalgie d'une langue maternelle réduite au silence. Qui babille pour récupérer la parole composée de rythmes gutturaux, d'emphases liées à la faim, à la soif, au besoin de contact. Où les phrases, pas toujours déchiffrables, sont entremêlées de fluides. Une invitation à écouter cette pulsation chaotique, à lui donner de l'oxygène et de l'espace dans notre discours quotidien et dans nos écrits. À reconfigurer une langue qui intègre des intonations, des lexiques, des manières de dire, au-delà du logos. Déchiffrer le silence, en même temps que nous déplaçons la langue, la faisant sonner dans un exercice puissant qui démystifie et réfute les figures consacrées comme Neruda : que la langue rentre/être comme absente/ne devrait pas être un classique (p. 46). Ainsi, cette écriture viscérale se libère d'une orthopédie qui nous a blessés et laissé des traces profondes. Comme celui qui cesse de porter un corset, qui raidit la posture, des appareils orthopédiques qui régulent la morsure, ou des semelles qui guident l'empreinte. Comme ceux qui sortent du dessin et colorient toute la page. Comme celui qui enlève le monument. Et écrit sur les murs de la ville en flammes, avec de la peinture en aérosol, avec de la lumière, avec rage et sans peur : que tout concept soit éliminé/ que toute statue soit éliminée/ que nous déracinions l'héritage du père/ de la racine (p. 39).



* Begoña Ugalde. Autrice de nombreuses pièces de théâtre. Elle a publié les recueils de poèmes El cielo de los animales [Le ciel des animaux] (2010, Calle Passy), La virgen de las Antenas [La vierge des antennes] (2011 Cuneta), Lunares [Lunaires] (2016 Pez Espiral), Poemas sobre mi normalidad [Poèmes sur ma normalité] (2018 Ril), La Fiesta Vacía [La fête vide] (Tege) et le recueil de nouvelles Es lo que hay [C'est comme ça] (2021 Alfaguara).



[1] Traduit de l’espagnol par Andrea Balart.



        © Angela Neira-Muñoz




[esp] Begoña Ugalde - El alivio tras la arcada. Apuntes sobre “La ortopedia de la lengua” de Angela Neira

    Como toda obra de arte que sabe dialogar con su espacio y contexto, el tercer poemario de Angela Neira, editado esta vez por la editorial española Sabina, plantea más preguntas que respuestas. Preguntas que reparan, a su vez, en los cuestionamientos paralizantes, sobre qué debemos escribir/sobre qué no debemos escribir, que se nos han impuesto desde siempre a las escritoras, y que históricamente han servido como mordazas, formulados desde el desprecio o la desconfianza de la potencia de nuestra voz. 

    Reconociendo que no basta con reflexionar acerca del lenguaje, sino que es necesario desentrañarlo, observarlo en su raíz, y también en tanto órgano físico que ha sido condicionado, normado, negado, la autora aborda estas interrogantes desde el mismo gesto escritural. Con la lucidez que regala experimentar lo liberadora que puede resultar la decisión de escribir, a pesar de todo. Es que el silencio ya no es un lugar cómodo para nosotras. ya no aceptamos su sobreentendernos en la elipsis, Es decir, ya no nos quedaremos calladas, y si la lengua no sirve, inventaremos otra (pág. 56). Ahora que todo parece estar cambiando vertiginosamente, y los viejos paradigmas están al fin cayendo, este poemario es un llamado a reparar en que existe un canon de palabras “bonitas”, tal como existe un canon de belleza corporal, que nos indica cómo debemos lucir, cómo decir, cómo acercarnos, vincularnos. Por eso ya no resulta sorprendente ver en los medios a los representes más grotescos del patriarcado apropiándose de palabras, “buenas”, tales como justicia, verdad, paz. Palabras, que dichas desde un podio, con entonación segura, se vacían y pierden sentido. Pero sabemos que todo monumento está ligado a una guerra. Y que la guerra, además de ser un negocio, es un lenguaje que en realidad no nos pertenece. Es preciso entonces negar incluso el alfabeto, que nos ha sido enseñado junto al castigo, junto al dictado. Cuestionar también la forma en que se nos ha hecho creer que funciona el tiempo, a través del calendario gregoriano, y reinventar otra secuencia para ordenar los días, en sintonía con nuestros ciclos y estaciones. 

    Desde la constitución misma de los versos, se nos recuerda que en todas las dictaduras se han intentado prohibir las lenguas originarias, no hegemónicas. Porque intentando homogenizar el uso del lenguaje, quitarle su complejidad, se le resta identidad, anulándose las visiones y cosmogonías particulares y únicas. Y, por el contrario, al interrogarnos, y distanciarnos de los viejos paradigmas, surgen nuevas certezas: Todas las preguntas si son en primera persona yo respondo (pág. 54). De esta manera, al reconocer que la imposición de la lengua se ha hecho domesticando al cuerpo, la búsqueda de nuevas formas de decir se torna un ejercicio orgánico, volviendo la escritura un acto de sanación y salvataje.  El ejercicio que propone entonces Angela, a través de un ritmo y una cadencia que al leerse parecen escucharse, es aproximarnos a las palabras desde su performatividad. Porque la hablante sabe que, por más que se use la fuerza, no es posible realmente extirpar la lengua subterránea, la que pulsa otros significados y la que en definitiva, constituye el decir poético. Es así como abriendo el cuerpo como canal, la poeta recupera un lenguaje primero. Y manteniendo la boca abierta, sin articular palabra, ni grito, deja que surja la arcada. Arcada que a su vez permite la purga de los tonos autoritarios. Vaciamiento que se consuma en el poemario, en cada verso, poniendo énfasis en su constitución, concibiendo las papilas gustativas como nuevos sentidos, que permiten percibir otros sabores, que a su vez permiten rearticular una música anterior, original y mutable. Cada poema, funciona así como un conjuro, que permite ver a las palabras de nuevo, en su forma, en su rayadura, en su significante.  De esa manera las reapropia, las libera de significados que no nos identifican. 

    Y a través de este gesto, reivindica el registro autobiográfico, que nos permite recuperar una experiencia común. Abrazar a la niña, que reconoce su distancia con la lengua del padre y la nostalgia de una lengua materna silenciada. Que balbucea para recuperar el habla que se compone de ritmos guturales, énfasis ligados al hambre, la sed, la necesidad de contacto. Donde las frases, no siempre descifrables, están imbricadas con los fluidos. Invitándonos a prestar oído a este pulso caótico, a darle oxígeno y cabida en nuestro decir cotidiano y en nuestra escritura. A reconfigurar una lengua que incorpore entonaciones, léxicos, formas del decir, más allá del logos. A descifrar el silencio, al mismo tiempo que movemos la lengua, haciéndola sonar en un ejercicio poderoso que desmitifica y rebate a figuras consagradas como Neruda: que la lengua se entre/para estar como ausente/no debería ser un clásico (pág. 46). Así esta escritura visceral, se libera de una ortopedia que nos ha dolido y dejado marcas profundas. Como quien deja de usar un corsé, que rigidiza la postura, frenillos que norman la mordida, o plantillas que pautean la pisada. Como quien se sale del dibujo y colorea la página completa. Como quien extirpa el monumento. Y escribe en los muros de la ciudad en llamas, con spray, con luz, con rabia y sin miedo: que sea eliminado/todo concepto/ que toda estatua sea eliminada/que saquemos de raíz la herencia del padre/de raíz (pág. 39).



* Begoña Ugalde. Autora de numerosas obras teatrales. Publicó los poemarios El cielo de los animales (2010, Calle Passy), La virgen de las Antenas (2011 Cuneta), Lunares (2016 Pez Espiral), Poemas sobre mi normalidad (2018 Ril), La Fiesta Vacía (Tege) y el conjunto de cuentos Es lo que hay (2021 Alfaguara).



     © Angela Neira-Muñoz



[eng] Yanira Zúñiga Añazco - A Feminist Constitution

    There is no doubt that the constitutional paradigm has expanded and diversified in its contents and orientations, moving from the liberal to the social, but this has not been enough to free constitutionalism from its gender bias. The relationship between subjectivity, rights and citizenship - one of the pillars of constitutionalism - has been as uneven as it has been neglected when it comes to women. Constitutions have not only been regularly written by men and for men; they have also allowed the masculine to become the true descriptor of the human and the political, and, by extension, the nucleus around which the constitutional paradigm orbits. This amalgamation of the legal and the cultural explains a paradox: with very few significant differences in the world, women regularly face great difficulties in benefiting from its material and symbolic implications in the same way as men. 

    The recent Chilean constituent process has triggered, among other expectations, one related to the possibility of correcting (or at least attenuating) this gender bias. The convergence between a strictly gender-parity drafting body and the revitalization of the feminist movement has encouraged the idea that the Chilean process could eventually "give birth" to a feminist constitution. This idea became so popular that it forced the Chilean academy to improvise a reflection on this "new constitutional species" which suddenly joined a taxonomy in which concern for women and feminism had been conspicuous by its absence.

    In contrast, a still emerging literature examining the fruits of women's alliances and the yields of the application of feminist theories to the legal field has been postulating the emergence of a feminist constitutionalism. This is an innovative project, aimed at rethinking constitutional theory and praxis, incorporating the feminine experience as a transfiguring input, rather than treating it as a difference, a singular condition or an anecdote. Feminist constitutionalism does not consist in thickening the constitutional catalogs with new rights (something that Latin American constitutionalism has explored with little success), nor necessarily in saturating these normative texts with gender-specific clauses; it implies a transformation of greater depth: reinventing, in the light of feminist critical theories, the entire constitutional toolbox. 

    Starting with an examination of the Chilean constituent process, I would like to join this effort. I will argue here that a feminist Constitution -a key piece to structure a constitutionalism of the same strain- is molded through two successive and copulative movements: a) a political deliberation where female participation is guaranteed both in the granting of the constitutional text and in the subsequent development of its gearing; and b) a constitutional text whose contents and normative orientations have sufficient potential to transform the sex-gender system.  

    As I mentioned before, one of the aspects for which the Chilean constituent experience has attracted worldwide attention is related to the adoption of a gender-parity mechanism that guaranteed a strictly balanced composition of the drafting body. In the processes prior to the Chilean one, the threshold of female presence in constituent assemblies had been only around 30%. Seen from this perspective, the Chilean process is a radically innovative experiment, not only because of the gender-parity composition of the Constitutional Convention but also because of the feminist social mobilization that served as sediment and fuel. 

    The Chilean experience has provided invaluable evidence to answer questions that, until now, remained in the realm of speculation. Among others, what would happen if the presence of women were equivalent to that of men in a constituent body, what role does a robust feminist movement play, how does all this affect the range of issues discussed and their regulatory orientation, how much does it shift and reconfigure the boundary between the public and the private? 

    On the eve of the end of this process - and regardless of whether the text produced by the Constitutional Convention is ratified by the citizens or not in the next plebiscite - we have compelling evidence to support certain conclusions. The first and most important is that the composition of the bodies does matter a great deal when it comes to debating, drafting a constitution or adopting other major juridical-political decisions. In the Chilean case, the presence of women acted as a catalyst, crystallizing procedural norms that guided the work of the Convention, relating to the presidency of the plenary and commissions, the use of the floor, the prohibition of forms of harassment, violence and gender discrimination, and the reconciliation of public and family life.

    Secondly, the Chilean experience showed that gender-parity rules unfold their full potential when fueled by feminist mobilization. This combination of factors can turn forgotten interests into protagonists, or even expelled from traditional constitutional politics. This is what happened with the sexual and reproductive rights clause (art. 61), which explicitly mentions, among other protected dimensions, access to abortion. This was approved by the plenary after being promoted as a popular initiative by a group of feminist organizations. Even though access to abortion is considered by international and comparative constitutional standards as a condition for the non-discriminatory exercise of reproductive rights, it is evident that a clause such as the one mentioned above could hardly have been approved by the constituted powers (still strongly masculinized), which have been openly reluctant to make abortion punishments more flexible, expanding the model of indications to a time limit model. 

    One of the most interesting aspects of gender-parity in the Chilean experience has been its plasticity and dynamism. The election of the Constitutional Convention, in which gender-parity ended up benefiting men more than women, sounded the first alarms about the risks of adopting a rigid vision. The Convention preferred instead a conception of gender-parity that was flexible in several senses. Although it cuts across the public apparatus (it reaches, according to Article 6.2, "all the collegiate bodies of the State, the autonomous constitutional bodies and the higher and executive bodies of the Administration, as well as the boards of directors of public and semi-public enterprises"), it operates as a floor for female integration (of at least fifty percent of its members), rather than a "ceiling", and is modulable, ranging from imperative to recommendable, depending on the type of body. 

    One of the greatest controversies on the scope and implications of gender-parity arose regarding its extension to the justice system, where it is combined with a mandate to apply a gender perspective regardless of the competence of the courts (arts. 312.1 and 3). Some have seen in this formula an excess, a threat to the principles of equality and impartiality that govern jurisdictional activity. However, there is sufficient evidence to show that it is gender biases that affect judicial impartiality and not the gender perspective that seeks to correct them. Such biases lie in masked, often unconscious, reasons that are used by courts as justifications for restricting or underprotecting women. The combination of gender-parity and the mandate to rule with a gender perspective suggests that the Constitutional Convention did not embrace the idea - controversial in empirical terms - that women, by virtue of being women, are likely to rule with a gender perspective. This idea is confirmed by the provisions of Art. 343, paragraph j) of the proposal, which instructs the Council of Justice (the new body in charge of judicial government) to "ensure the initial training and ongoing training of all officials and assistants in the administration of justice, in order to eliminate gender stereotypes and guarantee the incorporation of the gender perspective, the intersectional approach and human rights".

    There is no doubt that gender is a common thread in the constitutional proposal. It is possible to identify in it, at least, 31 clauses that refer to issues related to women, gender-parity and gender perspective. But is it a text with transformative potential, and is it worthy of the label Feminist Constitution? In my opinion, yes, not only because of the presence of this dense fabric of gender-specific clauses, but also because these address the axes of the patriarchal structure (violence, discrimination, appropriation of women's work, inequitable distribution of care, procreation and sexuality) with a view to counteracting its effects. Even more important: because the text aims to universalize the female experience, marked by care and the management of dependency, instead of singularizing it. It recognizes care as a human condition, establishing, among other things, a universal right to care, to be cared for and to take care of oneself (art. 50) and conceives interdependence as a descriptor of individuals (art. 4), of the relationships between them, between peoples, and between one another and nature (art. 8); and as a characteristic of human rights as a whole (art. 17). 



* Yanira Zúñiga Añazco holds a PhD in Law from Universidad Carlos III de Madrid and is a full professor at the Faculty of Legal and Social Sciences of Universidad Austral de Chile, where she teaches undergraduate and graduate courses on human rights and gender. 
Email: yzuniga@uach.cl



[1] Translated from the Spanish by Andrea Balart.