[esp] Constanza Carlesi – Resurrecciones: Frutas y verduras

Cuando la piel descansa, una fruta lánguida se desliza junto a otra.
Dos mujeres caen como dos alivios.
Se acompañan a la hora de caer.
Irreverentes ante la gravedad que por ley insiste, levanta y aprieta.
Todavía yo no entiendo por qué sentí tanta vergüenza de mis frutos y sus verduras. Si componen mi espacio-cuerpo-mítico: tierra de mis saberes, arrogancias y entregas más puras.

La honestidad y el peso de una fruta bíblica cuelga. Balancea la culpa sagrada que rezaron tantas tumbas.
Sigue cayéndose el peso a diario.
Cada año la obligación de una ley disfrazada.

Miro a mi madre y me veo.
Miro a mi abuela y estoy cerca.
Me miro y se me olvida olvidar.

Soy consciente. El punto que conecta el sentido.
La libertad en caída libre. Mi propio peso que se sostiene tranquilo.
Un cuerpo dividido. Soy en partes desiguales.

Yo y mis fragmentos libres, detienen segundos de tu sonrisa ensalada.
Porque cuando la piel descansa, pestañea una puesta de sol,
tu manzana se acongoja liviana
y mis frutos relajados, suspiran verduras.
    
Hace mucho tiempo que ya no me pudro.



* Constanza Carlesi Del Río (Santiago, Chile, 1985). Poeta, actriz, performer y tatuadora. Co-fundadora de GESTA, Festival de teatro porteño de mujeres (2014). Máster en Estudios hispánicos avanzados, Universitat de València (2016). La Estratega (Petit Editor, 2017) es su poemario firmado como La Conirina. Radicada en Francia, publica Carmesí Delirio (Printcolor, 2020).



© Morritxu. @morritxu




[fr] Lou Cadilhac - Daphné et la main scriptrice


(…)se tenir droit dans la plaie sacrée, 
la voir et la montrer en silence.

Mohamed Mbougar Sarr, 
La plus secrète mémoire des hommes 


L’œil de Lili s’ouvre difficilement, comme tous les jours, comme à chaque fois ; cette permanence itérative : d’abord, la première chose : un océan de lumière verte, dans les yeux, et le contact avec la pierre rude, sur la peau. Le deuxième œil s’ouvre, presque indépendamment du premier. Les deux, joints, regardent ce cosmos crypté qui se resserrera ensuite immanquablement. 
    Il lui fallait toujours retrouver doucement le halo vert pour se rappeler où elle était : cette verdure et ce crissement d’ailes, la pierre pressée contre la charpente de sa peau ; une odeur, enfin (ou d’abord), qui s’infiltrait tapageusement par l’ensemble de ses pores, cette odeur millénaire qui avait existé parmi les plus anciennes civilisations, aux côtés des divinités protéiformes d’autrefois. 

    La main est encore muette ; elle doit, plus tard, prendre le protagonisme dans cette scène antédiluvienne vécue par une enfant, dans une grotte, parmi les cimes d’une montagne. La main, le manuscrit, la recherche, encore et toujours ; Lili pense à la main, aux signes qu’elle doit tracer ; tracer, encore, les signes effacés chaque jour dans cette antichambre caverneuse. 

    Le village était infiniment éloigné ; pourtant, elle n’avait pas mis très longtemps à monter le sentier. Le chemin qui montait à la grotte s’enlaçait autour de la montagne, la serrait : étreinte tenace. Elle était montée, pieds-nus, en s’agrippant parfois aux végétations accoudées à la pente qui bordaient le sentier. Sa main s’était attardée le long des tiges, semblait attendre quelque chose d’elles, avant de se résoudre à les laisser tomber dans la terre si ancienne. 
    Ses pieds s’étaient avancés, et une incommensurable solitude était montée avec eux, faisant naître dans sa poitrine une nostalgie lointaine, sans apparence signalée mais si perspicace dans la façon dont elle était venue la blesser. 

    Lili avait, à un moment, levé les yeux, et ce mouvement d’élévation avait mis un peu d’air acidulé dans ses poumons ; mais elle le savait, une fois que l’ascension avait commencé, le mouvement ne pouvais plus s’arrêter, il n’y avait plus que le sacrifice, et la grotte. L’oiseau plein de plumes virevoltait autour d’elle, faisait des mouvements paraboliques, prenait parfois un peu de hauteur, puis amorçait une courbe descendante, ses plumes d’acier profanes invariablement inclinées ver le sol. 

    A présent, le sentier est derrière elle et le rite a commencé, elle n’a plus, au loin, qu’une perception abrutie d’un halo vert. 
    Il faudra se concentrer sur la main, et elle regarde le prolongement de son épaule continuer la ligne de son membre, prendre un virage incertain au niveau du coude, poursuivre son élan insensé jusqu’au poignet pour arriver enfin à la source de la vie, à ce membre inouï qui pouvait transfigurer le message, révéler l’invisible, à cette main si petite et si puissante, dont les doigts venaient gratter, doucement mais avec une impertinence tenace, la planche de bois de l’autel. Ce bois vint : réminiscence fugace, lui rappeler la scène qu’on avait érigée la veille au milieu du village (instant antérieur à l’oubli de toute temporalité dans ses veines dilatées). 

    Dans ce village-là d’où elle venait et où elle rentrera, il y avait eu une grande fête, la veille, ou bien des années auparavant. Souvent, comme ça, on bougeait les corps, on se mouvait avec une insouciance des grandes envolées, on se regardait et on souriait, beaucoup, avec les dents et les parures dorées qui venaient ennoblir les peaux quotidiennes. Des fêtes, la musique cadencée, les mouvements en l’honneur des Divinités de toujours, les regards entre tous, entre tous ceux qui ne savaient pas que tous les jours Lili devaient les sauver de la malédiction cryptée, qu’elle devait repartir à la recherche du manuscrit, tous les jours leur ignorance et l’autel de son sacrifice, mais elle ne pouvait rien leur dire avec les mots, il fallait écrire, écrire sur ce support si dur. 

    Il pouvait, lui, réduire au silence (combien d’autres en seraient capables ?). Si elle tentait de raconter le rituel avec le fond de la bouche, une pression multiséculaire venait grandir dans son abdomen, et puis, une explosion sanglante le long de son palais ; aucun mot ne sortait, il ne restait que la main et le manuscrit qu’il fallait retrouver sur les planches de bois, le manuscrit et une recherche, aletheia. Les Anciennes aussi avaient connu ce phénomène, si longtemps reproduit, ineffable à tout jamais, des estomacs qui se révulsent et saccadent la sempiternelle condamnation de ces peaux-là, du voile qui couvre les lèvres asséchées. Silences tournoyants, silences agonisants, silences pleins de détonations sourdes, silences pleins, pleins de yeux fatigués et grands ouverts vers les horizons de la solitude. 

     Alors elle avait regardé la fête, avec une bienveillance envers leurs gestes lestes, avec une envie de les rejoindre mais ce serait pour plus tard, ce serait pour le jour où sa main aura trouvé les symboles sacrés ; pour elle, un mouvement continu du corps, jusqu’aux doigts, vers les pieds 
    Il avait aussi assisté à la fête, personne ne connaissait son alliance avec la montagne, ils le regardaient avec les mêmes yeux dont on se regarde entre soi, ils lui parlaient avec le même langage, et elle aussi, Lili, elle avait des mots pour lui quand ils n’étaient pas dans le ventre de la montagne.

    Mais maintenant, alors que le temps remonte jusqu’à ses yeux et rend les motifs verts flous, il n’y avait que du silence dans sa bouche et parfois juste un bruit guttural de souffrance contenue, un mugissement des entrailles ballantes dans une intériorité incommensurable et sinueuse. 
    La durée, lorsqu’il s’approchait, se dilatait toujours de façon différenciée ; une lenteur s’insinuait d’abord en elle par le bas, torpeur insoutenable, puis remontait dans la partie supérieure et semblait y expérimenter un infini incertain avant de tomber d’atteindre le centre de Tout, de la main et du reste.
    L’oiseau était là ; en permanence, voletant sans queue ni tête d’une paroi à l’autre de la grotte, percutant de ses ailes sombres et métalliques la roche dure et lisse, et ce mouvement faussement aérien venait produire un crissement terrible, évocateur de contacts qui autrefois aussi avaient engendré la mort. 


    La main, quant à elle, tente d’échapper à l’envoûtement environnant, recherche le contact avec un langage, avec la possibilité d’une empreinte scripturale, avec l’essence de la rédaction d’un manuscrit essentiel qui viendrait normalement s’écrire du bout de ces doigts-là qui, selon les autres, appartiennent à un corps qui porte son nom ; pour l’instant, il y a un océan vert devant ses yeux, qui s’étend à perte de vue, il y a un flamboiement doré qui vient lui gratter la rétine. Elle essaye de tendre son petit corps vers cet océan vert, elle essaye de le rejoindre et elle sent que cette rencontre ne tient qu’à une chose, à la possibilité que les mots s’inscrivent, à la possibilité qu’un manuscrit boisé lui redonne le nom de l’existence ; quand le manuscrit sera retrouvé, elle aura contre sa peau si usée ce phylactère-là qui la protégera de la montagne, de Lui, et du temps qui engourdit la pensée. 
    La roche était en elle, la main se débat, elle continue et conserve ce palimpseste incessamment convoqué dans le creux de sa paume, mais la lenteur s’empare d’elle et alors que le corps ne peut presque plus bouger le cœur entreprend un battement frénétique ;
    Un siècle passe précipitamment, et puis, après le passage de plusieurs dynasties, au sein de ses yeux, il y a encore un abrutissement vert qui vient flotter dans les rétines ; elle y aperçoit, la sortie de la grotte, le dehors, et puis, être avec eux, mais il fallait que la main parle, le ventre était inutile pour ce message-là, il n’y avait que la main et l’œil verdâtre contemple l’ongle qui continue désespérément de gratter, contre le temps assourdissant, contre la dureté de la pierre ; devenir laurier, s’enfoncer dans l’océan vert au-delà de ces veines, de l’autre côté de la rive de sa peau, chanter un jour les plumes des oiseaux roses et bleus ; devenir laurier pour ne pas mourir visiblement, maintenant, devenir laurier, lâcher le manuscrit, 

    Mais, maintenant, des respirations, la main, encore, une fois, un bruit, silence blanc, secousse immense, terrible, la mort, les plumes, les feuilles, le laurier, la main, encore, la main, la feuille, morte, la mort, secousse, secousse, brisé, le corps, brisé, encore, la mort, brisée, la main, encore, le laurier, brisé, mort blanche, blanc, mort, secousse, chute, fatale.

……………………………………………………………………………………

    La main de Lili retombe, le manuscrit se résorbe comme on meurt en hiver. Son corps, à lui, retombe aussi, sur le côté, sur le dos. Mouvement descendant victorieux. Elle fixe encore les feuilles vertes qui apparaissent par la fenêtre de la chambre de ses parents. 
    Silence, si plein, olfactivement. 
Elle sait ce qu’il va dire, enfin. « Il ne faut rien dire à maman, c’est notre jeu à nous ». Elle ne bouge pas, son corps est tout entièrement massacré. Il lui enfile de nouveau sa culotte, lui remet sa jupe en place, et se dirige vers la porte qui mène à l’escalier.

     Le sacrifice est terminé, jusqu’à ce que demain, encore, les massacres au sein des montagnes reprennent, ici et dans les maisons du voisinage où chaque jour, d’autres enfants venaient s’échouer le long de la mort de leur voix 


    ; jusqu’à ce que, finalement, dans des temps prédits seulement par les évangiles apocryphes, le manuscrit soit révélé, jusqu’à ce que leurs mots à elles viennent peupler toutes les peaux, jusqu’à ce qu’elles saccagent les grottes consciencieusement ; 

    Alors enfin : une voix qui chante, un oiseau léger, un horizon azuré. 



* Lou Cadilhac 
J’ai toujours trouvé dans la littérature l’espace de ma plus intime intériorité. Je suis passionnée par la compréhension de mon existence et du monde, fascinée par l’altérité qui est soi et par l’étranger qui nous appartient. 




[esp] Catalina Illanes - Relicario

    Mi corazón es un complicado relicario donde nadie descansa en paz. Deambula por todas partes y me desconcentra, perdiéndome en una selva platónica y cruel. 

    Quizás la culpa es de este deseo incandescente. Me imagino una llamita, como la del Sagrado Corazón. Y esa llama me arde todo el tiempo. Me quema y se lleva todo lo cuerdo que hay en mí.

    Por ejemplo, me gustaría decirle que venga. Que estoy sola. Que me puedo arrancar un rato de ser la que siempre soy o la que soy ahora. Que podría ser de nuevo esa de antes, esa que no conoció y que yo tengo medio enterrada. 

    Esa que le diría que sí. Quiero verte. Esa que no tenía nada que perder porque no arriesgaba nada más que el corazón, tan acostumbrado a las heridas y a sanarse en camas ajenas. 

    No le hablaría del incendio en mi cabeza. No le diría lo que quiero que me haga ni que me arden sus ideas, sus palabras. Su falta de culpa. Me arde su descaro. No le diría nada. Me lo comería con los ojos y lo dejaría explorar. Mi esfuerzo sería mantener el juego a mi medida.

    Pero nada de eso va a suceder. No voy a mirarlo hasta el desgarro porque no le voy a decir que estoy sola y que puede venir. Porque nunca estoy sola. Porque esa de antes se me perdió en la selva y no la dejo volver. Porque me enredan mis concepciones de siempre y me tropiezo con mi idea del amor.  

    A cambio, que se conforme con la extensión de mis secretos y las velas que les prendo a los muertos que se pasean por ahí. Quizás, en ese rincón oscuro, puedan encontrarse y hacerse. Comerse las ganas que se tienen y después volver a la nada. A la mirada furtiva pero ya sin reservas ni suposiciones. Al hambre perpetua de la posibilidad.



* Catalina Illanes nació en Santiago de Chile en 1980. Estudió Letras, es profesora de Lenguaje y Magister en Psicopedagogía. Formó parte del taller de escritura autobiográfica de María José Viera Gallo, entre 2016 y 2019. Le gusta la acuarela y el collage @cip_ilustraciones. Tiene dos hijos y dos gatas.



© Catalina Illanes.



[esp] Constanza Carlesi – Manifiesto de la muerte

¡Ni una menos! Gritaron
más de mil personas,
entre ellos hombres y mujeres.
Los perros gemían, los gatos se erizaban, la mar rugía,
el bosque se erguía,
y las montañas contemplaban.
Todo seguía como siempre, aunque salir a la calle parecía nuevo.
¡Ni una menos! Gritaron,
pero la mujer ya había gemido, mientras su cuerpo entero se erizaba, los celos del hombre rugían
y el egoísmo se erguía.
¿Dónde estaban los jueces ciegos?
¿Dónde el mínimo criterio que dicen siempre?
¿Dónde el prejuicio de la calle manifestándose?
¡Ni una menos! Gritaron.
De nuevo una mujer entre los perros, de nuevo un gato envenenado,
de nuevo el mar contaminado,
de nuevo hectáreas de bosque quemado, 
de nuevo las montañas impasibles contemplaron lo imposible.
Una tarde tranquila de sur austral,
allá muy lejos de Grecia y su mitología olímpica:
un Edipo, que para su mayor fortuna y obediencia freudiana,
le saca los ojos a Electra.
¡Ni una menos! Gritaron. Pero las montañas continuaron impasibles.
¡Hasta cuándo patria ciega!
¡Hasta cuándo mutiladas! Hasta que los perros,
los gatos, la mar, la flora y fauna
enteras se rebelen
en contra del silencio de la montaña.
Y gritaremos: ¡ni una menos!
Rugiremos.
Y de la boca del volcán
saldrá el espíritu de la muerte a dar un discurso repetido que partirá así:
Adán violó y asesinó a manzanazos a Eva...
¡Ni una menos! Gritaremos
¡Ni una menos! Cantaremos
¡Ni una menos! Alrededor del fuego.


[1] Puedes escuchar el voz-poema aquí: link. Voz poeta: La Conirina. Guitarra: Daniel Bardon. Clarinete y voces: Ellen Indigo. Registrado por EMSONA Studios, Valencia, España 2018.



* Constanza Carlesi Del Río (Santiago, Chile, 1985). Poeta, actriz, performer y tatuadora. Co-fundadora de GESTA, Festival de teatro porteño de mujeres (2014). Máster en Estudios hispánicos avanzados, Universitat de València (2016). La Estratega (Petit Editor, 2017) es su poemario firmado como La Conirina. Radicada en Francia, publica Carmesí Delirio (Printcolor, 2020).