[fr] Aurora Simond - Alma, la femme animal

Feu

Dans chaque rébellion
il y a un feu
un feu qui arrache
un feu qui embrase
qui manifeste
et qui demande justice

Mais dans ce même feu
il y a le désir  
qui danse avec la passion et l’envie
feu militant, sacré, sauveur et savoureux
loin des interdits, du raisonnable, du stable
ce feu réveille la chaleur
là où tout a été  glacé
de tristesse
de soumission forcée
de manipulation
d’ennui
d’usure
ou de fatigue
le feu soude les luttes
réchauffe les cœurs
rapproche les corps


[…]

Un matin d’été, Alma […] entend le sifflement d’un oiseau. Il est beaucoup plus mélodieux que d’habitude. Elle lève la tête et elle le voit.  C’est une créature magnifique - Un oiseau gigantesque avec des plumes multicolores qui lui tombent sur les pattes. […] Alma attrape l’oiseau merveilleux par le cou et monte sur son dos et ensemble ils s’envolent dans les airs.
Alma ne se retourne pas.

[…] Mais un jour, alors qu’elle est en plein vol elle entend la voix de son grand-père.

« Alma va doucement je suis pressé »

[…] Elle arrête son envol et tombe dans le nid avec son oiseau. Son oiseau est là mais il n’a plus ses plumes multicolores, il est tout gris. Alma se rapproche de lui il est froid. Il lui tourne le dos. Alma tente de se rapprocher de lui mais il reste muet. Brusquement, il se retourne. Il a les yeux rouges, nerveux et il les bouge dans tous les sens. D’un bond il se dresse sur ses pattes et se met à bouger les ailes dans un rythme effréné. Alma a peur. Elle s’éloigne. Ce n’est plus du tout son oiseau enchanteur et multicolore mais une créature maléfique endiablée. Il continue d’agiter ses ailes frénétiquement et quand enfin il arrête cette danse diabolique il tombe sur le sol, épuisé.
Il semble mort. Vite partir rassembler toutes ses affaires. Partir.
Se sauver.
Partir- partir -partir.

Mais alors qu’Alma va franchir la porte, l’oiseau se redresse ouvre ses yeux veineux et de son bec jaillit un fleuve de sang.
Un fleuve de sang qui emporte Alma dans un désert.


Fleuve de sang


Trace de coup - à l’intérieur
et ce fil qui file et défile – le temps
depuis combien de temps
depuis combien de temps
Je ne suis pas sadomasochiste
no soy sadomasoquista

emportée par un fleuve
fleuve de sang
la branche se brise et Alma est là
nue
 recroquevillée sur elle même
plein milieu du désert
ses plumes colorées
sur le sable brûlant
arrachées violemment
rivières de sang séché
empreintes le long du corps
depuis combien de temps



    Alma a l’impression d’être là depuis des jours, des semaines peut être bien des mois. Au-dessus d’elle le soleil  est toujours aussi aveuglant, imposteur. Elle a chaud, elle a le pas lourd, le front coulant, la bouche sèche, le soleil au zénith marque ses épaules d’un rouge criant et lui fait peler la peau. Elle marche et elle a soif, elle a soif elle pleure, elle a soif elle pleure. Elle a soif elle pleure, elle a soif elle pleure …Elle boit tout ce qui de ses yeux jaillit comme une rivière d’eau salée.
Alma est tellement absorbée par ses émotions qu’elle ne se rend pas compte que le désert s’est enveloppé d’un ton bleu argenté et qu’il fait un peu plus frais et qu’au-dessus d’elle un éclat phosphorescent a pris place. Alma tourne tout à fait la tête vers le ciel. […]

« Alma, tes os ne t’abandonneront pas » lui dit la Lune

Alma baisse les yeux et elle se rend compte qu’elle n’a plus des jambes mais des pattes. Qu’elle n’a plus une bouche mais une gueule avec de longues dents pointues et que de sa gueule jaillit un hurlement, un hurlement de louve. Alma est devenue la bête. La bête qu’on dit sauvage, la bête qu’on traque. Mais pourtant elle est toujours la même. Seule une nouvelle force l’habite, une force que personne ne pourrait dompter ou faire taire. Elle se met à courir dans ce désert. Sa fourrure blanche fend ce paysage fait de bleu et la course de l’animal est accompagnée d’étoiles filantes. Comme dans un feu d’artifice. Une passoire scintillante.  Elle voit qu’une étoile se détache et qui danse plus distinctement que les autres.

Elle se rapproche, elle se rapproche de plus en plus. Elle est tout prés. Là, juste dans le creux de son pelage blanc.

« Au moment où tu me vois, je me suis déjà éteinte. Avec mes sœurs nous sommes les gardiennes de ta mémoire. Ceux qui ont de la mémoire peuvent vivre dans le fragile temps présent. Ceux qui n’en ont pas ne vivent nulle part. Alma tes os ne t’abandonneront pas, tu survivras. »

[…] Au loin on voit un groupe de vieilles femmes voilées de noir avancer en regardant le sol. Elles sont une dizaine, elles portent à leur cou et sur leur tête des ossements des créatures du désert. Ces vieilles femmes vivent dans un villages caché perdu dans le désert. Il semblerait -parce que beaucoup ont entendu parler d’elles mais très peu les ont vues- qu’elles soient à la recherche de personnes perdues, égarées, mortes ou assassinées. Et régulièrement elles sortent de leurs tanières pour aller à la recherche de ces âmes oubliées. Depuis des siècles ces vieilles femmes marchent en regardant le sol, leurs longs cheveux blancs au vent, le regard rivé sur le sable à la recherche des moindres ossements. Elles parlent entre elles dans un langage étrange fait de cris et de croassements d’animaux, elles fuient la présence des êtres humains mais jours et nuits elles restent entre elles. Ces vieilles femmes on les appelle : Las Hueseras

Quand les vieilles arrivent juste au-dessus des ossements d’Alma, elles savent qu’elles sont au bon endroit. Elles commencent à gratter la terre et quand elles ont reconstitué la belle architecture blanche de l’animal et que son squelette dans son entier gît sur le sol ; les vieilles femmes font un feu, déposent le squelette à côté des flammes, forment un cercle, se prennent par les mains et ferment les yeux. Une des vieilles femmes, certainement la plus âgée, les joues tombantes, les yeux creusés, le front ridé, la main tremblante, frappe la peau. Plus elle frappe plus les os se mettent à bouger. Bientôt les os se recouvrent de peau.
Et la peau se recouvre de poils.
La louve revient - La louve revient- La loba.
Une des vieilles femmes s’approche de l’animal.
Prend sa gueule entre ses mains.
Dépose sa mâchoire sur son cœur
Et là, la bête ouvre les yeux, bondit sur ses pattes
Et détale dans le désert.
Dans ses mains tremblantes la plus vieille des femmes tient le corps nu d’Alma complètement asséché, la bouche ouverte, elle semble morte. Les autres vieilles femmes se rapprochent du corps et d’un air entendu commencent à l’humidifier mais elles savent toutes qu’elles doivent partir en direction de la falaise. Ce désert surplombe l’océan mais seules las Hueseras connaissent le chemin qui mène jusqu’à la mer. Quand les vieilles femmes sont toutes alignées au bord de la falaise, leurs longs cheveux blancs au vent, la plus vieille des femmes […] fait un pas de plus vers le rebord de la falaise et jette Alma dans l’océan.


Ave Maria mi alma

Mon cœur dans mon corps saigne
et mon sang chauffe dans mes veines
au bain Marie

Sainte Marie Priez pour nosotras
donnez-nous empathie compréhension et douceur
et tout le blablabla de ta Marie pleine de grâce

Priez pour nous et ces pauvres pécheurs
puisque nous sommes la source et  le fruit - la cause et la conséquence
ils peuvent nous brûler les ailes, nous arracher toutes nos plumes,
 nous faire crier, nous prendre et nous prendre pour des folles
nous faire mouiller, nous assécher et nous laisser couler

Oh sainte Marie je vous salue et m’agenouille devant vous
Sainte Marie priez nous mais surtout pour eux ces pauvres pécheurs
qui ont oublié que de Sainte je n’ai rien
sinon mon amour pour la vie
que de sainte je n’ai rien sinon le sacré de mon pouvoir
qui aiguise la force de mon âme pour me relever - me transformer
de sainte je n’ai rien sinon le sacré de mon pouvoir

Ave Maria reza por nosotras
pero sobre todo por ellos, los pecadores
para que no se olviden que de santa no tengo nada
sino lo sagrado de mi poder
que da fuerza a mi alma
para levantarme y transformarme

Et ce n’est pas parce qu’avec mes grands-mères sous emprise
j’ai récité vos prières et regardé « autant en emporte le vent »
que je vous suis
De sainte je n’ai rien que le sacré de mon pouvoir
Je ne crois pas en votre dieu
ni en votre institution
mais au pouvoir de mi alma
De sainte je n’ai rien que le sacré de mon pouvoir
Je ne crois pas en votre dieu
ni en votre institution
mais au pouvoir de mi loba



Fragment de la pièce  « Alma, la femme animal ».
Conte musical & live painting.
(Jouée par le Collectif LaCueva à Lyon, France, juillet 2022).
Écriture et jeu : Aurora Simond
Illustrations et costumes : Arty Mori
Musique et arrangement sonore: Stéphane Reynaud
Soutien à la création: Mercedes Alfonso



* Aurora Simond. Sa plume évolue auprès de sa compagnie de théâtre Teatro Anonimo, la compagnie de danse Instante au Chili -pays où elle a vécu 7 ans- puis à Lyon avec son collectif LaCueva avec qui elle organise entre autres, des scènes ouvertes féministes. « Alma, la femme animal » est son premier récit de création, spectacle féministe, associant récit conté, performance dessinée à l’encre & musique live.



    © Arty Mori






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