[fr] Anaïs Rey-cadilhac - Ce que la monogamie vient nous signifier

En promenant mon vélo sur les quais nonchalants du Rhône, j’ai balancé un peu dans ma tête les déjections de ces jours brumeux qui m’avaient maintenu le corps bien accroché au lit. Mes jambes pédalaient et en moi s’inscrivait la certitude que toute la joie de ma vie avait été inscrite dans le mouvement, la mobilité, la certitude de l’espace ouvert et de l’identité à redécouvrir. De cela, j’étais certaine : chaque avatar que je créais pour moi-même m’était indispensable. Et il y avait cette personne-là qui m’avait donné envie de m’arrêter, pour une fois, d’essayer d’inscrire dans la continuité cet amour à la fois incertain et tout à fait réel. Une dualité étrange s’inscrivait dans ma relation avec cet homme, qui était aussi un enfant et mon amour. Mon amour et deux enfants, une ingénuité recroquevillée dans les plissures d’un lit partagé. 

Il était ce rire cristallin que j’avais oublié dans les tiroirs d’une enfance enfumée et dissipée dans la promesse d’une maturité impitoyable. Et aussi, il y avait Moi et le rire, le rire avec moi et ces volutes de plaisirs décadenassés ; après tellement de temps- qui parvenaient à me faire voir que la jouissance ne serait pas toujours après la porte obscure, qu’elle était là et que petit à petit elle me montrerait certainement la possibilité de cette ailleurs lumineux. 

Je l’aimais et je voulais plus encore de ces rires, de ces éclats de jouissance, de cette complétude si rare de notre relation ; je le voulais pour longtemps mais mon besoin des autres m’était aussi nécessaire dans cette quête éperdue d’affection et de chaleur humaine. Je le veux dans 6 mois, dans un an, dans deux ans et jusqu’au bout sans épuisement, je le veux tous les jours dans la certitude de mon corps mais j’ai aussi besoin de projeter mon désir d’être avec autrui dans d’autres identités spectrales qui, pendant une heure, s’appelleront Amour, Désir ou Chaleur, et qui bientôt s’évanouiront dans l’évanescence de leur insouciance. Ils ne sont que pour une heure, mais la partie de moi qui les recherche ne se fatigue pas d’exister.

A 23 ans, j’ai appris que je n’étais pas seulement une enveloppe corporelle attrayante. Que l’homme-partenaire voulait aussi en moi l’amie, l’intellectuelle, la passionnée, la cycliste, et toutes les autres. Ainsi, que l’amante soit un personnage qui se donnait en spectacle sur plusieurs scènes ne remettaient plus en cause l’entièreté de ma relation avec celui-là qui était mon compagnon. 

Les pieds pédalent et mon esprit chavire dans les contradictions sans bornes de moi-même, dans les limites insoupçonnées de ma liberté.

Il y avait Amour et bien plus encore, il y avait Amour et l’eau du Rhône, il y avait l’idée d’Amour et son existence dans la consistance de ma vie, il y aura sûrement une autre fois, les berges et la recherche, les péniches bien fixées dans leur illusion de voyage et le besoin insatiable d’être comblée et heureuse à la fois, d’obéir à cette injonction stupide d’une société qui nous invite à éviter toutes les frustrations pour nous mener vers les ravines de ce manque ultime, celui de la conscience à soi-même. 

Rêvons, rêvons donc de la liberté sexuelle, de l’espace insatiable de nos expériences érotiques, fuyons toujours dans la large brèche de l’ignorance de toute chose pour y trouver ce que nous n’avons pas, ce que nous n’aurons jamais épuisé de rechercher.

Et quand nous aurons fini d’arpenter cycliquement les bords de nos incertitudes, trouvera-t-on un espace entre la normativité étouffante du couple monogame et la claustrophobie relationnelle aliénante ? 



* Anaïs Rey-cadilhac, 25 ans ; intérêt pour la littérature, les sciences sociales et l’interculturalité de manière générale. Après des études à Lyon, je vis actuellement à Montpellier ma ville d’origine où je donne des cours de FLE (Français Langue Etrangère).




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