J’ai toujours détesté le rose. Je préfère le bleu, pour sa complexité, sa force, sa profondeur et son éclat. J’ai toujours détesté cuisiner. Je préfère manger, même si, nous le savons tous, c’est très mal vu pour une femme de manger beaucoup et sans complexes. J’ai toujours voulu réussir professionnellement. Ambitieuse, carriériste, arriviste, égoïste, j’ai tout entendu. Je ne veux pas de famille. Je ne veux rien construire, rien qui m’attache définitivement à un endroit ou à quelqu’un. J’ai une soif débordante de liberté, dont les crues défient les barrages de la société. Je veux créer, pas concevoir. Je veux aimer, pas élever. Parti pris, on ne peut pas tout avoir. Lorsque j’étais enfant, au lieu de fabriquer à mes poupées un foyer agréable, décoré, avec un mari et des bambins attablés autour du rôti du dimanche, je leur rasais la tête, je leurs dessinais à l’indélébile des tatouages immenses, le long du dos, je leur perçais les oreilles, leur trouais les jeans, leur noircissais les paupières de fard approximatif, fabriqué à partir de crayons de couleur. Des poupées à qui je ressemble un peu, maintenant que j’y pense. Je les faisais enjamber des motos, conduire des vans, piloter des avions. J’ai toujours aimé les moteurs. Dans leurs bruits graves, je retrouve un peu de ma voix rauque au lendemain de l’ivresse, avant le premier café du matin. Dans leur constance, je retrouve un peu de ma détermination, lorsqu’obstinée je m’affaire à mener à bien tout ce que j’entreprends. Dans leur simple conception j’y vois ma liberté chérie, celle de sauter dans un car et de plier bagage, pour une durée indéterminée. Mon seul contrat à durée indéterminée, c’est celui que j’ai signé avec le reste du monde, me promettant de traverser chacune de ses frontières, de fouler tous ses déserts, de palper toutes ses neiges et de longer toutes ses côtes, de brasser tous ses océans, escalader toutes ses montagnes et admirer les plafonds de toutes ses cathédrales. Je veux continuer à me ficher de tout, à ne jamais avoir d’horaire ou d’autres préoccupations que celle d’apprécier plus encore demain ce qui m’aura émerveillé aujourd’hui. Je veux continuer à faire mien chaque rayon de soleil, à boire les gouttes de pluie comme une enfant, sauter dans les flaques avec mes baskets sales, m’asseoir dans l’herbe pour lire tout une après-midi, aller seule au cinéma, admirer une inconnue. Je veux continuer à nourrir mon âme d’enfant dans mon corps d’adulte qui traverse les années comme autant de pas vers de nouveaux horizons. Et, vous l’aurez compris, explorer est ma seconde nature.
* Charlotte Loiseau. Amatrice de poésie et d'expériences artistiques en tous genres, je joue avec les sonorités et les images, tangibles ou mentales. J'aime découvrir le monde et, à la manière de croquis, dessiner avec des mots ce que mes yeux ont saisi de la beauté de ce qui nous entoure. Si la beauté est partout, alors j’aspire à l’être aussi. Curieuse, engagée, passionnée et rêveuse, je mets un peu de moi dans tout ce que j’entreprends.
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