[fr] Sofía Esther Brito - De la parité à la démocratie paritaire : les réseaux féministes dans la proposition de la nouvelle Constitution du Chili

La contestation des mouvements féministes dans le processus constituant a abouti au premier corps constituant paritaire au monde. Parmi les femmes qui remportent les élections, certaines, en raison de la même règle d'égalité comprise en termes binaires - des représentants moitié hommes/moitié femmes - ne parviennent pas à la Convention et doivent céder leur quota aux hommes. Sur les soixante-dix-sept femmes qui sont devenues membres de la Convention, quarante-cinq au moins se sont déclarées féministes au moment de l'élection. Les revendications féministes sont portées par les multiples modes d'articulation que représente chacun des membres de la convention. Le militantisme féministe dans les mouvements féministes. Militantisme féministe dans les mouvements sociaux qui représentent une lutte spécifique pour l'eau, le logement, la santé, l'éducation, les territoires ancestraux, développant une perspective féministe. Le militantisme féministe dans les partis politiques qui se sont déclarés féministes. Ou dans les partis où il existe des fronts féministes. Ou dans ceux dont la compréhension du féminisme, sous-tend qu'ils « aspirent à être » à un moment donné une société féministe, et donc, considèrent qu'un corps politique mixte peut être déclaré comme tel. 

De même, les initiatives suivantes sont présentées comme des Initiatives Populaires de Norme (IPN) pour être discutées dans l'organe constitutionnel - dépassant les 15.000 signatures pour commencer leur traitement - des initiatives telles que « Ce sera loi : Initiative populaire en faveur de l'avortement » avec 38 200 soutiens ; « Genre et justice » avec 16 827 soutiens ; « Initiative populaire pour la reconnaissance constitutionnelle du travail domestique et de soins » avec 17 963 soutiens ; « Initiative populaire féministe pour une vie sans violence pour les femmes, les enfants, les diversités et dissidences sexuelles et de genre » avec 19 500 soutiens et le « Droit à l'identité » avec 18 058 soutiens. Toutes ces initiatives sont issues d'articulations féministes et dissidentes qui, depuis des années, se demandent comment entrer dans le cadre institutionnel des avancées concrètes pour nos vies, et qui, depuis des espaces autonomes, se méfient de ce même cadre institutionnel.

La multiplicité qui s'exprime entre autonomie et cadre institutionnel, à partir des manières non universalistes de comprendre la catégorie des femmes, pose un exercice de confiance profonde dans leurs alliances. Des femmes qui veulent continuer à être appelées femmes, des femmes qui se reconnaissent comme diversité ou dissidence, des femmes qui ont été historiquement exclues de la politique de la féminité. Les espaces féministes diffus, cet œil qui cherche encore une organisation centralisée ou une structure lisible des centrales partisanes ou syndicales du XXe siècle, obtiennent que toutes les règles promues par leurs agendas soient inscrites dans le texte constitutionnel, transformant le sens de la compréhension de nous-mêmes comme citoyennes, sujets politiques. 

Le féminisme fait irruption dans la Charte fondamentale comme une plante grimpante qui nous pense et nous nomme, nous invite à penser à d'autres modes d'existence et de lien avec le public et la communauté. Il est décidé d'utiliser un langage inclusif tout au long du texte. La Constitution commence par un préambule, où il est dit « Nous, le peuple, les femmes et les hommes » [Nosotras y nosotros el pueblo], et où le mot peuple est mis au pluriel, dans la diversité des peuples et des nations qui coexistent. Il reconnaît la démocratie de sa république comme « paritaire et inclusive ». Depuis le mandat de ces individus, dont le seul regroupement possible était la famille singulière, comme noyau fondamental de la société de la Constitution de 1980, les sujets collectifs apparaissent devant le système juridique et sont reconnus dans leur interdépendance :

Article 8.- Les individus et les peuples sont interdépendants de la nature et forment avec elle un tout indissociable. L'État reconnaît et promeut le bien vivre comme une relation d'équilibre harmonieux entre les personnes, la nature et l'organisation de la société.

Le concept de bien vivre nous inscrit dans un horizon qui cherche à s'opposer aux cadres androcentriques de l'oppression coloniale, sexuelle et raciale, où l'État subsidiaire imposait un cadre d'individuation où chacun devait résoudre ses besoins en « grattant avec ses propres ongles ». A partir de l'absence de droits sociaux et après avoir grandi dans une société où le brouillard des gaz industriels « était l'odeur du progrès », on reconnaît les droits de la nature et les multiples formes d'être en humanité. La proposition nous invite à penser à un État qui se prive pour assumer un rôle actif face à la crise des soins. 

Ainsi, l'article 49 établit la reconnaissance du travail domestique et de soins comme socialement nécessaire et indispensable pour la durabilité de la vie et le développement de la société. L'État est proposé comme promoteur de la coresponsabilité sociale et de genre, et doit mettre en œuvre des mécanismes de redistribution du travail domestique et de soins, en veillant à ce qu'il ne représente pas un désavantage pour ceux qui l'effectuent. Dans l'article suivant, nous trouvons le care comme un droit de toute personne à être soignée et à prendre soin d'elle-même de la naissance à la mort. L'État doit garantir les moyens pour que cela soit digne, réalisé dans des conditions d'égalité et de coresponsabilité. À cette fin, un système de soins intégral sera créé, qui sera géré par l'État, fondé sur l'égalité, la solidarité et l'universalité, avec une pertinence culturelle. 

Ce n'est pas la « mystique du soin » - selon les mots de l'économiste Cristina Carrasco [1] - chargée sur des corps féminisés, la manière dont la proposition de la nouvelle Constitution aborde sa reconnaissance. La coresponsabilité et l'interdépendance sont des principes qui traversent la proposition constitutionnelle. La reconnaissance des droits dans une perspective de genre implique une vision en mouvement constant du rôle qui a été historiquement délégué à nos épaules. Dans cette ligne, le droit à une vie sans violence de genre implique un mandat de l'État pour adopter les mesures nécessaires à son éradication, ainsi que les modèles socioculturels qui le rendent possible. De même, la garantie des droits sexuels et reproductifs consiste à assurer à toutes les femmes et aux personnes ayant la capacité d'avoir des enfants les conditions d'une grossesse, d'une interruption volontaire de grossesse, d'un accouchement volontaire et protégé et de la maternité. L'article 64 stipule que : « toute personne a droit au libre développement et à la pleine reconnaissance de son identité, dans toutes ses dimensions et manifestations, y compris les caractéristiques sexuelles, les identités et expressions de genre, le nom et les orientations affectives-sexuelles ».

Le mandat de l'approche de genre et l'égalité substantielle apparaissent de manière transversale dans des articles tels que le droit à l'éducation - reconnaissant sa nature non sexiste -, le droit à l'éducation sexuelle intégrale, le droit au travail, à la santé, au logement et à la sécurité sociale. L'exercice des fonctions publiques, la planification des entités territoriales, la sécurité publique et les fonctions juridictionnelles sont également régies par ce principe. Comme le patriarcat a été le juge -comme Las Tesis avait raison en 2019- dans l'exercice judiciaire l'approche intersectionnelle et les principes d'égalité et de perspective de genre sont reconnus. Selon l'article 312 : « les tribunaux, quelle que soit leur compétence, doivent résoudre avec une perspective de genre (...) Les systèmes de justice doivent adopter toutes les mesures pour prévenir, punir et éradiquer la violence contre les femmes, les diversités et dissidences sexuelles et de genre, dans toutes ses manifestations et sphères. »

La transformation de la parité en démocratie paritaire consacre un mandat : l'État promeut une société où les femmes, les hommes, les diversités et les dissidences participent dans des conditions d'égalité réelle. Tous les organes de l'État, les organes constitutionnels autonomes, les organes supérieurs et exécutifs de l'Administration, ainsi que les conseils d'administration des sociétés publiques et semi-publiques, doivent avoir une composition paritaire qui garantit qu'au moins cinquante pour cent de leurs membres sont des femmes. L'État devra promouvoir l'intégration de l'égalité dans ses autres institutions et dans tous les espaces publics et privés et adoptera des mesures pour la représentation des personnes de sexe différent à travers des mécanismes qui seront créés par la loi. La nouvelle Constitution proposée parle de parité également dans les organisations politiques, et même dans des institutions telles que la Police et les Forces Armées. Les femmes rurales, les enfants et les adolescents, les personnes âgées, les personnes handicapées, les personnes neurodivergentes, sont reconnus et leurs droits sont garantis. 

Les alliances féministes et plurinationales ont surmonté les tourniquets imposés par les cadres étroits de l'ordre institutionnel issu du colonialisme. Ce n'est pas une coïncidence si, face à l'espoir de récupérer l'eau, ici dans le seul pays du monde où elle est privée [2], face à la consécration de la propriété commune des peuples et des nations indigènes, face à la proposition d'une société où nous pouvons tracer le chemin pour récupérer nos vies et nos corps, les forces conservatrices du « rejet » s'opposent, depuis la circulation de fausses nouvelles, jusqu'aux menaces d'une plus grande répression. La feuille de route établie par la nouvelle Constitution proposée est un chemin qui reconnaît ses complexités et que, en tant que mouvements féministes, nous avons proposé d'avancer à partir de nos multiples luttes. C'est pourquoi la campagne du Réseau chilien contre la violence a résonné dans tous les coins de l'organisation féministe : face à notre décision incontestable pour des vies sans violence, ferme et convaincue : nous approuvons dans ce plébiscite. 


[1] Voir : Bengoa, Cristina. (2013). "El cuidado como eje vertebrador de una nueva economía" [Le care comme colonne vertébrale d'une nouvelle économie]. Cuadernos de Relaciones Laborales. 31. 10.5209/rev_CRLA.2013.v31.n1.41627.



* Sofía Esther Brito (1994). Écrivaine et militante féministe. Diplômée en droit de l'Université du Chili. Co-autrice de « La Constitución en debate » [La Constitution en débat] (LOM Ediciones, 2019), éditrice de « Por una Constitución feminista » [Pour une Constitution féministe] (Pez Espiral, 2020), « Desafíos para nuestro momento constituyente » [Défis pour notre moment constituant] (LOM Ediciones, 2020), entre autres textes.



[1] Traduit de l’espagnol par Andrea Balart.




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