[fr] Hillary Hiner - Nouvelle Constitution du Chili et violence basée sur le genre

1. Toutes les femmes, les filles, les adolescentes et les personnes de la diversité et de la dissidence sexuelle et de genre ont droit à une vie exempte de violence sexiste dans toutes ses manifestations, tant dans la sphère publique que privée, qu'elle provienne de particuliers, d'institutions ou d'agents de l'État.
2. L'État adoptera les mesures nécessaires pour éradiquer tous les types de violence basée sur le genre et les modèles socioculturels qui la rendent possible, en agissant avec la diligence requise pour la prévenir, enquêter et la sanctionner, ainsi que pour fournir attention, protection et réparation intégrale aux victimes, en tenant compte notamment des situations de vulnérabilité dans lesquelles elles peuvent se trouver (Constitution politique de la République du Chili, 2022, article 27, p. 12).

Les personnes qui ont été sanctionnées pour harcèlement sexuel ou tout type d'abus ne pourront pas accéder à des fonds compétitifs pour la recherche. Des actions et pas seulement des mots. Notre gouvernement s'est engagé à mettre en œuvre un programme d'égalité (Flavio Salazar Onfray, ministre des sciences, de la technologie, de la connaissance et de l'innovation du Chili, via Twitter @DrFSalazar, 17 août 2022).
 

Depuis les années 1980 au Chili, les mouvements féministes et de femmes luttent contre les violences. Depuis 2015 et les mobilisations croissantes des étudiants dans les universités dénonçant le harcèlement sexuel des professeurs, qui ont conduit au Tsunami féministe de 2018, nous avons également observé comment la violence de genre dans l'enseignement supérieur est devenue une question incontournable au sein du mouvement féministe. En tant que membres de la Red de Historiadoras Feministas (RHF) [Réseau des historiennes féministes], nous avons lutté activement pour mettre fin à la violence dans nos environnements d'étude et de recherche. La RHF a été fondée en 2017, en grande partie en raison des multiples allégations de harcèlement sexuel qui ont fait surface dans les centres académiques d'Histoire à travers le pays.  

En 2019, le RHF a pris conscience d'un grave problème lié à cette question et a publié une chronique, signée par le Réseau, et nommant le cas de l'historien impliqué, Milton Godoy. Bien que cette chronique ait été écrite par le RHF, cet historien a ensuite déposé une plainte pénale contre moi pour diffamation. Ce procès est toujours en cours et est prévu pour décembre. (voir : 

À ce jour, nous avons réalisé des avancées importantes en matière de harcèlement sexuel et de violence basée sur le genre dans l'enseignement supérieur et la recherche. La loi Nº21.369 sur le harcèlement sexuel dans l'enseignement supérieur, proposée par le réseau des femmes chercheuses et promulguée en septembre 2021, a constitué une étape importante. En outre, au niveau institutionnel, différentes initiatives, normes, protocoles et programmes ont été mis en œuvre, en grande partie en raison des demandes et des pressions exercées par les étudiants, les femmes professeurs et les chercheuses.  

L'Agence nationale chilienne pour la recherche et le développement (ANID) a également pris des mesures en la matière, d'abord en mettant en œuvre une politique d'égalité des sexes en janvier 2020, puis en réalisant des études telles que l' « Évaluation des écarts entre les sexes dans la trajectoire de la recherche », réalisée par le sous-secrétaire à la science, à la technologie, à la connaissance et à l'innovation et publiée sur son site web en février 2022. Plus récemment, le ministre de la science, de la technologie, de la connaissance et de l'innovation (CTCI), le Dr Flavio Salazar, a envoyé un signal fort lorsqu'il a tweeté que les personnes sanctionnées pour harcèlement sexuel ne pourront plus recevoir de financement public via des concours (voir la deuxième citation de l'épigraphe). Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, mais nous sommes définitivement dans un moment différent par rapport à ce qui existait il y a dix ou vingt ans au Chili.

Quel est le rapport entre tout cela et la nouvelle Constitution ? Eh bien, beaucoup de choses.  En janvier 2022, le Réseau chilien contre la violence envers les femmes, ainsi que plus de quarante organisations féministes, telles que la Coordinadora 8 de marzo, l'Association des avocates féministes ABOFEM, Ni Una Menos Chile, entre autres, ont présenté l'initiative populaire de la norme Nº50.754, sur le droit de vivre une vie sans violence. Selon le réseau chilien contre la violence envers les femmes (http://www.nomasviolenciacontramujeres.cl/), cette initiative a reçu 19 501 soutiens en ligne, ce qui en fait une priorité à travailler parmi les constituantes féministes. En avril 2022, ce qui est aujourd'hui l'article 27 (voir la première citation de l'épigraphe) est passé en séance plénière de la Convention constitutionnelle et a été approuvé. Il est important de noter que la définition de la violence fondée sur le genre inclut la violence qui se produit « dans toutes ses manifestations, tant dans la sphère publique que privée, qu'elle provienne de particuliers, d'institutions ou d'agents de l'État ».  Ce point est important, car il est clair que les institutions d'enseignement supérieur et de recherche ont été particulièrement marquées par la violence de genre et, en même temps, ont également été complices, voire ont couvert cette même violence. 

Parallèlement, la Nouvelle Constitution, rédigée par une convention paritaire et avec un grand nombre de féministes, inclut également l'égalité réelle et des mesures contre la discrimination et la violence fondées sur le genre de manière transversale. C'est le cas, par exemple, des articles : 6 (parité et égalité substantielle de représentation), 10 (familles diverses), 22 (contre les disparitions forcées), 23 (contre le bannissement, la relégation et l'exil), 24 (droit à l'éclaircissement sur les violations des droits humains et les crimes contre l'humanité ; vérité, justice et réparation intégrale pour les victimes de violations des droits humains), 25 (contre la discrimination), 37 (non-discrimination dans le système éducatif national), 40 (éducation sexuelle complète pour prévenir la violence), 44 (approche de genre et non-discrimination dans le système de santé national), 46 (conditions de travail et salaires équitables ; non-discrimination sur le lieu de travail), 49 (reconnaissance du travail domestique et de soins comme activité économique ; coresponsabilité), 51 (logement décent et création d'abris pour les survivants de la violence), 52 (villes et établissements sans violence), 53 (droit de vivre dans un environnement sûr et sans violence), 65 (droit à l'identité et à l'intégrité des peuples autochtones), 61 (violence gynécologique-obstétrique), 63 (interdiction de l'esclavage, du travail forcé, de la servitude et de la traite), 64 (identité de genre), 89 (espaces numériques sans violence), 93 (droits culturels des populations tribales afro-descendantes du Chili), 172 (non-élection à des fonctions publiques pour cause de violence), 242 (violence à l'égard des femmes et des filles en milieu rural), 297 (genre et parité dans la police), 299 (genre et parité dans les forces armées), 312 (genre et parité dans le système national de justice) et 350 (parité dans les organismes autonomes).  

Comme on peut l'apprécier avec ce petit résumé, il est tout à fait clair que la Nouvelle Constitution est une Constitution qui prend en charge la discrimination et la violence de genre et, de plus, la focalise d'une manière inédite dans les Constitutions chiliennes. En ce sens, la manière de traiter la violence de genre dans la Constitution est vraiment très nouvelle et très nécessaire, se distinguant, en outre, au niveau régional et mondial pour son approche féministe intersectionnelle.

Enfin, au-delà, la Nouvelle Constitution a-t-elle aussi quelque chose à dire sur le harcèlement sexuel dans l'enseignement supérieur et la recherche ? Nous protégerait-elle, par exemple, contre de nouvelles plaintes de harceleurs dans nos milieux, lorsqu'ils postulent pour des projets ou même contre la question de l'extension de la violence par le dépôt de plaintes pour diffamation ou calomnie lorsque nous dénonçons ? Je pense que oui, même si, évidemment, tout ne passe pas par la Constitution et que nous pourrions faire beaucoup de progrès avec de meilleures lois et politiques publiques : une loi complète sur la violence de genre, des amendements aux lois sur la diffamation et la calomnie, de meilleurs protocoles internes des universités et des institutions de recherche sur la violence (en modifiant les bases des demandes de fonds compétitifs, par exemple, ce qui est très proche de ce que propose le ministre Salazar, mentionné ci-dessus), et aussi plus de politiques visant à combler les écarts entre les sexes dans la recherche. Mais où voyons-nous des liens entre ces propositions et la nouvelle Constitution ?

En premier lieu, il existe évidemment un lien profond entre la nouvelle Constitution et les luttes contre la violence de genre, précisément en raison de l'article 27, dont nous avons déjà parlé. En outre, la Nouvelle Constitution promeut explicitement la liberté académique (article 27, paragraphe 2), et en outre, « l'entrée, la permanence et la promotion de ceux qui étudient dans l'enseignement supérieur seront régies par les principes d'équité et d'inclusion, avec une attention particulière aux groupes historiquement exclus et de protection spéciale, interdisant tout type de discrimination » (article 27, paragraphe 5).  Cela s'applique évidemment aux femmes et aux personnes LGBTQ+ et, pris ensemble, cet article et l'article 27 nous fournissent un cadre solide pour travailler efficacement sur le harcèlement sexuel et la violence fondée sur le genre dans l'enseignement supérieur.
  
En conjonction avec la liberté académique, la nouvelle Constitution garantit aussi explicitement la liberté d'expression et d'opinion (article 82, paragraphe 1). Il ne s'agit pas d'une question mineure si l'on considère les restrictions à la liberté d'expression qui existaient pendant la dictature et la post-dictature, instaurées par la Constitution de 1980, et dont les exemples sont nombreux et bien connus (le cas le plus célèbre de la post-dictature étant peut-être l'interdiction d'exposer le film La dernière tentation du Christ en 1988, qui a été renouvelée en 1997 et a atteint la Cour interaméricaine des droits humains, CIDH, qui a statué contre l'État du Chili). Dans l'article suivant, l'article 83, il est également explicite que « l'État respecte la liberté de la presse » (article 83, paragraphe 2).

Enfin, et pour conclure, il est important de rappeler que le cas de Milton Godoy n'est pas seulement un cas de liberté d'expression ou de liberté de la presse, mais, en première et dernière instance, il est lié à un cas de harcèlement sexuel présenté à l'Universidad Academia de Humanismo Cristiano en 2015. En ce sens, il y avait une concernée par cette affaire, une concernée qui, comme des milliers d'autres femmes chiliennes, a vu sa vie universitaire, mais aussi professionnelle et personnelle, profondément affectée par cette situation. L'État lui doit, ainsi qu'à des milliers d'autres femmes comme elle, survivantes de la violence de genre, une réparation profonde et intégrale, comme le garantit l'article 27, paragraphe 2.  

Nous vivons aujourd'hui un moment historique, avec la possibilité d'approuver une Nouvelle Constitution Féministe. Cette Constitution nous fournirait des cadres juridiques et politiques importants, des cadres qui pourraient ouvrir de nouvelles possibilités et de nouveaux horizons dans notre quête d'une vie sans violence. Elle serait également l'aboutissement de décennies de luttes et de mobilisations contre la violence de genre, menées par des féministes, des femmes diverses et des personnes LGBTQ+. Parce que nous voulons être en vie, le 4 septembre prochain, nous voterons Apruebo ! [J'approuve].



* Hillary Hiner, professeur associé, École d'histoire, Universidad Diego Portales, Chili ; coordinatrice (zone centrale), Red de Historiadoras Feministas de Chile [Réseau d'historiennes féministes du Chili]. Autrice de Violencia de género, pobladoras y feminismo popular [Violence de genre, femmes des banlieues et féminisme populaire] (Tiempo Robado, 2019) et co-autrice de Históricas. Movimientos feministas y de mujeres en Chile, 1850-2021 [Historiques. Mouvements féministes et de femmes au Chili, 1850-2021] (LOM, 2021).



[1] Traduit de l’espagnol par Andrea Balart.




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