NBi, “Enby” comme non-binaire, comme un monde sans frontière, métissé, nuancé, non-figé, changeant, fini les films en noir et blanc, il est temps de sortir de nos enclos, de faire péter les barreaux !
On veut nous mettre dans une cage, ça facilite la pensée, la compréhension de ce monde si complexe et infiniment diversifié. Fille ou garçon ? Comme une prison banalisée, un article de supermarché, on naît avec un matricule, une étiquette sur le nez ! Pourtant, beaucoup se sentent ou se croient libres dans leur cellule, d’autres n’en voient même pas les murs (n’ayant jamais connu que ça), c’est leur zone de confort, leur aurore et leur crépuscule. Et quand on en sort, qu’on parvient finalement à s’extirper de ce placard étriqué, c’est souvent pour entrer dans une autre armoire, certes plus adaptée à notre personnalité, comme pour nous rassurer dans un monde où toutes nos identités doivent être déclinées, figées, étiquetées…
On a toujours peur de l’inconnu. Sauf que cette fois l’inconnu c’est toi-même. La seule chose que tu connais c’est la société et ses cases, ses rôles, tu les as appris toute ta vie. Tout ce que tu croyais être vrai et faire partie de toi sont en fait une construction sociale apprise, ancrée dans nos cerveaux, dans nos cœurs, dans nos corps, qui me dit comment m’habiller, qui je dois aimer, qui dicte mon caractère et mes pensées, ce que je suis, ce que j’étais, ce que je serai... Ce n’est même plus une question de peur, de honte ou de fierté, c’est un système de pensée à reconstruire tout entier, une langue, une société, au-delà de la binarité.
Je voudrais que les caractéristiques physiques ne soient plus des facteurs qui nous déterminent. Si ça te choque qu’on nous discrimine par une quantité de mélanine, que dis-tu du fait qu’on nous réduise à un taux d’hormones ou à un chromosome, que chaque jour on te demande ou te scande ce que tu as dans l’entrejambe ?
Pourquoi vous voulez savoir ça ? Te le dire, c’est me définir. Je n’ai pas besoin de tes cases pour savoir qui je suis. Les mots donnent du sens, aident à se (faire) comprendre, se (re)connaître, se sentir entourae d’une communauté. Mais on n’a pas toujours un mot qui nous définit et c’est ok d’en changer aussi, ne pas s’y sentir enfermae à vie. Aujourd’hui, « enby » me suffit, je ne suis ni elle ni lui, sans modèle prédéfini. Je peux être à la fois elle et lui, parfois elle et parfois lui, ou autre chose aussi. Tu es ce que tu vis, ce que tu ressens, ce que tu choisis !
De Mars ou de Venus ? Es-tu verge ou utérus ? Ce n’est pas ce qui te définit, toi tu as toute la Galaxie ! [1].
Je suis non-binaire parce que c’est le mot qui m’a enfin permis d’expliquer mon ressenti, sans m’imposer un mode de vie. Le genre et ses cases m’ont toujours fait violence, je ne me reconnais pas dans leur existence. La non-binarité me donne enfin le droit d’exister.
Ce n’est ni seulement politique, ni seulement personnel. Ce n’est pas une question de mode ou d’appellation individuelle, tu peux m’appeler “al”, “iel”, “il” ou “elle”, du moment que ça t’interpelle ! J’ai de la testostérone et des œstrogènes comme toi, comme lui, comme elle, comme iel aussi.
S’il n’y a plus de caractères binaires ou de rôles assignés, tous les genres seront reliés à une même identité, celle de l’humanité dans sa diversité. Les genres n’auront plus lieu d’exister, car le sexe ne sera plus un facteur pour nous distinguer. Chacun•e sera libre de s’exprimer, de se décider, de s’affirmer, de se changer à volonté, intérieurement ou extérieurement, sans peur et sans jugement.
Toustes les mêmes et toustes différent•e•s, rien n‘est tout noir ou tout blanc, pas besoin de choisir ou de te définir, tu es métissae, non figae, changeanx. Tu es l’arc en ciel, le caméléon. La réalité est un spectre de lumière qui irradie l’infinité des couleurs de la vie !
- Quelle confusion ! Me direz-vous.
- Notre fonctionnement cognitif cherche toujours à simplifier et à catégoriser le monde complexe. Mais quoi de plus simple que d’accepter la catégorie d’humain•e, de personne, sous toutes ses formes, gros, petit, noir, blanc, en fauteuil roulant, avec ou sans lunettes, avec ou sans poils, avec ou sans seins, avec ou sans papiers, peu importe d’où iel vient...
- On ne peut plus se fier aux apparences ! Rétorquerez-vous.
- Si, vous êtes à peu près certain•e que vous avez une personne en face de vous ! Le reste est-il vraiment important ? Et heureusement que ma biographie n’est pas écrite sur mon front, sinon vous n’auriez aucune question à me poser, nous n’aurions rien à nous dire, rien à apprendre l’un•e de l’autre. Vous n’auriez qu’à me voir et voilà, la case est cochée !
Le langage aide à la réflexion, mais il limite aussi, met des frontières, des catégories, parfois là où il n’y en a pas. Nous sommes toustes prisonnier•e•s de notre culture et de notre langage, qui conditionnent notre manière de percevoir la réalité. Certain•e•s la voient floue, d’autres en 2D, en 3D ou plus si affinités... Alors qu’il suffirait d’enlever nos lunettes et d’accepter le monde tel qu’il est, dans sa complexité et sa diversité.
- Mais alors, on ne peut plus rien dire, plus rien nommer, ni qualifier... ?
- Bien sûr que si. Notre capacité à décrire, l’art, la poésie, le souci du détail seront toujours là. Mais est-il nécessaire, à peine je mentionne une personne, de donner systématiquement le détail de son entrejambe, de son genre assigné ou apparent ? Le fait est que notre actuel langage binaire oblige à genrer toute personne dès le premier mot de la première phrase, du moins dans la langue française où le pronom est obligatoire (à la différence de l’espagnol) et où tous les adjectifs s’accordent selon un genre (à la différence de l’anglais). Mais la langue évolue chaque jour, et l’Académie finira par s’adapter, de force ou de gré !
- Ok. Donc le genre est une construction sociale et les comportements qui y sont associés ne sont pas innés. Mais les femmes sont quand même des femmes et les hommes toujours des hommes, l’aspect biologique on ne peut pas le nier ?
- C’est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Le sexe en lui-même n’est déjà pas binaire à la base. Beaucoup de personnes naissent intersexe et subissent des mutilations génitales et/ou un traitement hormonal pour les faire rentrer dans la « norme ». Ce n’est pas non plus une question d’hormone puisqu’une femme peut avoir plus de testostérone qu’un homme. Même nos chromosomes ne coïncident pas toujours avec notre sexe assigné, alors peut-on encore vraiment diviser l’humanité en 2 identités ?
- Mais… la pensée non-binaire ne va-t-elle pas desservir la cause du féminisme ? En niant les différences hommes-femmes et prônant une pseudo-égalité, ne risque-t-elle pas de nier ou d’invisibiliser la domination du patriarcat ?
- La non-binarité est avant tout un ressenti (ou de multiples ressentis !), un sentiment individuel à la fois émotionnel, corporel, social et relationnel. Mais elle est aussi un idéal vers lequel avancer, un horizon social, politique, culturel, langagier, …une utopie ? Peut-être, mais ce sont nos rêves qui bâtissent le monde de demain ! D’ailleurs, l’égalité n’est pas synonyme d’uniformisation, c’est au contraire une égalité de droit et de traitement, l’égalité dans la diversité. Donc ce que demandent aussi les féministes ! Car l’essence même de la non-binarité rejoint le féminisme de Simone de Beauvoir, du questionnement des rôles de genres qui ont mené pendant des siècles à l’oppression des femmes, mais aussi des personnes trans, intersexes, queer, non binaires, ou de toute personne qui « dévie » de la norme hétéropatriarcale. Aujourd’hui fort heureusement, la plupart des mouvements féministes incluent et marchent avec les diversités de genres, de sexes, de sexualités et de relations. Ces luttes sont intersectionnelles, non-excluantes, elles ne doivent pas s’atomiser, mais s’additionner, se croiser, se rétro-alimenter.
J’imagine un monde où il n’y ait plus aucune socialisation genrée, où les enfants puissent grandir comme des personnes et développer leur propre personnalité, où tout le monde parle au neutre par défaut en rencontrant quelqu’un pour la première fois... Je ne cherche pas à nier les oppressions mais au contraire, à y trouver une solution, à viser un idéal vers lequel tendre, un horizon. En attendant il faut lutter dans notre triste réalité binaire et divisée, lutter pour s’unir, s’unir pour lutter, contre toutes les oppressions, en toute adelphité, en intersectionnalité, dans la diversité, s’entraider, se comprendre et se libérer ! Que le système de genre, le patriarcat et le capitalisme tremblent… car nous allons marcher et créer ensemble !
[1] Extrait de la chanson « Ni elle ni lui » - Kawïn (sortie fin 2021).
* Melissa Nefeli
Auteurice compositeurice interprète, chanteureuse et bassiste du groupe KAWÏN (Chanson franco-chilienne engagée). Également titulaire d’une double Licence en Psychologie et Sociologie, de Master 2 en Psychologie Sociale et en Didactique des Langues (FLE). Co-fondateurice d’un collectif féministe libertaire au Chili où al a vécu 8 ans.
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