Le féminisme est synonyme de droits humains et de démocratie. Quiconque se déclare non-féministe dit je suis anti-droits humains et anti-démocratie. Ensuite, il y a les deuxièmes noms, je m'identifie plus à tel ou tel courant, mais la base est la même : les droits humains des femmes et la qualité démocratique de la société.
D'une part, le féminisme a mis l'accent sur le fait que les femmes sont aussi des êtres humains et qu'elles peuvent donc prétendre à ces droits, sur un pied d'égalité avec les autres êtres humains et, dans de nombreux cas, avec tous les êtres vivants. D'autre part, il a élargi le champ de vision en disant, dans chaque situation, regardons aussi les marges, ceux qui n'ont pas le titre à gouverner, mais qui sont aussi là, la part des sans-part, comme le dit Rancière, par rapport à la démocratie.
Mais il s'agit du seuil minimum. Ce qui est intéressant avec le féminisme, c'est qu'il a défini le contenu de ces droits humains et de cette démocratie d'une manière très exigeante. Il a élaboré tout un catalogue d'actions ou de comportements dans les relations humaines qui violent ces droits, et a proposé toute une autre gamme qui protège l'intégrité des personnes et leur plein développement. Il y est parvenu en faisant quelque chose qui n'avait jamais été fait auparavant : écouter les êtres humains. Les sortir de la marginalité et les placer au centre. En brisant les stéréotypes, en donnant une voix et une visibilité aux personnes dans toute leur complexité et leur intersection d'identités. L'accès à la multiplicité et à la pluralité était essentiel pour se rendre compte de ce qui suit : malgré les différences, moi aussi. # Me too. L'unité est essentielle.
Le féminisme a mis en place les concepts suivants : la solidarité systématique, le devoir d'empathie, la responsabilité même pour les actions des autres et la réparation basée sur la justice. C'est pourquoi nous ne pouvons pas passer à côté, dans un monde qui se défait, nous ferions mieux d'élargir notre vision et d'agir ensemble. Résister, c'est survivre. Cela a été proposé de manière révolutionnaire, sans système moral ni contrôle social d'aucune sorte, mais à partir de la liberté et de l'autonomie. Ces actions sont devenues politiques, dans le sens d'une participation à la création du monde. Cette activité a pour but d'assurer la vie au sens le plus large, comme l'entendait Arendt.
Sous le nom de sororité, une pratique de solidarité systématique s'est mise en place. L'accent a été mis sur la relation de solidarité entre les femmes, car c'est cela qui était révolutionnaire, la fraternité était déjà un concept installé. Il fallait que les femmes s'unissent et travaillent ensemble car installer de nouveaux concepts quand on est du côté des opprimés demande de la coordination. Mais le féminisme va au-delà de la sororité, en développant ce concept, ce qu'il essaie de faire c'est d'installer une pratique systématique de la solidarité. Cette pratique consiste à regarder la situation dans son ensemble. L'obligation de regarder au-delà de ce qui apparaît dans l'image. L'interdépendance des systèmes et l'idée que, si quelqu'un est en haut, il faut s'assurer qu'il n'y a pas quelqu'un en dessous qui est laissé pour compte. L'idée de ne pas laisser les gens en dehors du tableau. Ce qui est créé sur des cadavres est mort-né, sans valeur. Ce concept va de pair avec l'horizontalité. Le féminisme s'intéresse de près aux hiérarchies. Pourquoi y a-t-il quelqu'un en haut et quelqu'un en bas ? Pourquoi doit-on me dire ce que je dois faire ? Dans ce bateau, nous avons tous la même valeur. Cela est également lié à l'intersectionnalité, qui consiste à regarder quand il est plus difficile pour quelqu'un de monter sur la même proue du navire, pour quelque raison que ce soit. Il s'agit de valoriser équitablement cette intersection de facteurs, afin de rester horizontal.
Quant au devoir d'empathie, il découle de la reformulation totale des relations humaines par le féminisme. Ce qui ne se fait pas par caprice, mais parce que beaucoup de gens étaient laissés pour compte. La moitié de l'humanité ? Cela a été fait spécifiquement en se mettant d'accord sur une liste d'actions et de situations qui causent de la douleur, qui sont oppressives. La douleur est importante ici. Par exemple, lorsqu'une personne veut mettre fin à un lien, elle a au moins deux options : le dire clairement ou ne rien dire et commencer à se comporter de manière imbécile afin que l'autre personne finisse par le faire. Ce que le féminisme a fait, c'est dire, avec assertivité, lorsque tu fais ceci, je me sens comme ça : mal, par exemple. Il n'a pas dit que les hommes sont comme ceci ou comme cela, ou qu'ils sont pires ou meilleurs, il ne manquerait qu’une stupidité comme ça, il a dit, par exemple, que si quelqu'un dit, tout se passera comme je le veux ou la relation est terminée, il s'agit d'un traitement injuste et oppressif. C'est de la maltraitance. Ce que le féminisme a fait, c'est décrire en détail toutes les interactions qui font mal, qu'elles soient volontaires ou forcées. Il a indiqué toutes les situations dans lesquelles il y a de la maltraitance, avec une grande clarté. La maltraitance est une violence. À tous les degrés. Le féminisme a mis l'accent sur deux points qui permettent d'éviter ce type des situations : la communication et la notion que les gens ont des émotions et des sentiments. Cela semble évident, mais l'idée n'a pas été suffisamment installée. Par exemple, faire valoir que, si quelqu'un commence à crier ou à éviter ce qui ne fonctionne pas, non seulement cela ne va pas aider du tout, mais c'est aussi une forme de maltraitance, donc de violence. Et lorsque cette violence est exercée à l'encontre d'une personne qui, de surcroît, ne peut, pour une raison ou une autre, mettre librement fin à ce lien, elle la place dans une situation impossible et porte atteinte à son intégrité. Le féminisme nous incite, à tout moment, à considérer en toute occasion la notion d'empathie, à évaluer si nos actions sont imbéciles ou non, si nous causons de la douleur ou si nous permettons à d'autres de s'épanouir. Bien sûr, lorsque la bonne chose à faire a toujours été dictée par un groupe comme une règle universelle, il peut être difficile à identifier, mais ce n'est plus le cas. Les mauvais traitements sont clairement détaillés et il n'est plus possible d'indiquer que l'on n'en était pas conscient. Si tu ne veux pas te comporter comme un imbécile, fais un petit effort. Si tu veux mettre fin à une relation, tu peux en parler. Et les conditions doivent être équitables lorsque la relation prend fin. Il faut toujours garder à l'esprit l'idée que nous sommes tous sur la même proue du navire et que nous avons la même valeur. Et la redistribution de ce qui a été formulé comme des privilèges, qui sont tout à fait évidents. L'existence d'une soi-disant méritocratie est une mauvaise blague.
Le concept de responsabilité pour ses propres actions et même pour celles des autres est également intéressant. Il tente de mettre fin à la complicité. Les actions imbéciles ont la caractéristique de se répéter si l'on n'arrête pas la personne qui les commet. Elles ont une persistance impressionnante. L'impunité est également une incitation certaine à ces répétitions. Elles prennent souvent la forme d'actions qualifiées de délits. Face à cela, il y a au moins deux options : se taire quand on en a connaissance ou les empêcher d'une manière ou d'une autre. Dans le cas des actions imbéciles ou des actions criminels, qui sont aussi imbéciles, il y a une tendance presque inexplicable de la confrérie masculine à les laisser passer. Ça suffit de regarder un peu. Mais la bonne nouvelle, c'est que grâce aux concepts mis en place par le féminisme, la complicité recule. Sans aller plus loin, j'ai appris la semaine dernière, par exemple, qu'une certaine personne dénoncée pour violence n'était plus la bienvenue là où elle était. Une grande joie. Je ne sais pas si la notion de responsabilité est installée, mais elle est en route, et celle de dénonciation est déjà en place. Le silence semble de plus en plus appartenir au passé.
Pour finir, je voudrais souligner une autre notion qui s'est développée, celle de la réparation basée sur la justice. La confrérie masculine est très réticente à demander pardon ou à s'excuser quand il le faut. C'était une notion inconnue. Avec l'idée erronée de la faute. De qui est à blâmer pour quelque chose. Tout d'abord, dans une interaction à deux, la responsabilité est partagée et, s'il s'agit d'un délit, elle incombe à celui qui l'a commis. Si quelque chose ne va pas dans une interaction volontaire, c'est la conséquence de ce que quelqu'un fait et de la réception de l'interlocuteur et de ses propres caractéristiques, l'affirmation « c’est toi qui m'as mis dans cet état » est stupide. En revanche, si quelqu'un est contraint de faire ou de subir quelque chose, sans son consentement, la responsabilité n'incombe en aucun cas à la victime. Dans l'ensemble des actes quotidiens ou criminels qui portent atteinte à l'intégrité d'une personne, le féminisme a très clairement installé la notion de besoin de réparation, qui repose sur le concept de justice. Ce qui a été fracturé doit être réparé. L'importance de l'obligation de réparation a été installée. Ici, ce n'est plus, je m'en fiche, ils peuvent se débrouiller seuls, il y a une responsabilité d'observer, de reconnaître, de sanctionner, de réparer ce qui a été cassé. Comme se rendre compte que ce n'est pas consommer du plastique et le jeter à la mer, et oublier après, la planète est noyée et le plastique revient un jour ou l'autre, il faut recycler ou arrêter de consommer du plastique. En tout cas, arrêter de casser la planète et réparer tout ce qui est déjà cassé.
En d'autres termes, nous sommes tellement mieux avec le féminisme et l'écologie qu'il ne reste plus qu'à continuer à approfondir et à être reconnaissantes qu'ils soient là. Il reste tant à faire. Et une autre chose, il ne suffit pas de dire ou de paraître, il faut aussi faire. Par exemple, si tu dis que tu défends les droits humains mais tu ne sais pas très bien ce que c'est, cela ne sert à rien. C’est parfaitement possible de savoir maintenant ce qu'ils signifient et ce qu'ils impliquent. Ce qu'il faut faire. Comme le dit Ani DiFranco, tu peux parler d'une grande philosophie, mais si tu ne peux pas être gentil avec les personnes chaque jour, cela ne signifie pas grand-chose pour moi, ce sont les petites choses que tu fais, les petites choses que tu dis, c'est l'amour que tu donnes le long du chemin. Et c'est là que nous arrivons à un sujet clé : l'amour. Rappelons-nous que le féminisme est synonyme de droits humains et de démocratie. Ce qui est fantastique, c'est que le féminisme a indiqué quelque chose de radical : l'amour et ses manifestations sont un droit humain. Et donc une responsabilité. Le plus important, c'est que le féminisme ne s'arrêtera pas tant que le monde n'aura pas définitivement changé. Les femmes qui aujourd'hui ne peuvent pas aller à l'école ou qui craignent pour leur vie à cause d'un voile mal porté ont besoin de nous tou.te.s.
* Andrea Balart est écrivaine et avocate spécialisée dans les droits humains. Elle est titulaire d'un master de la faculté de philosophie de l'Universitat de Barcelona. Militante féministe, cofondatrice, directrice et éditrice de Simone // Revista / Revue / Journal, et traductrice (fr-eng-esp). Franco-chilienne, elle est née à Santiago du Chili et vit à Lyon, France.
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