[fr] Aurora Simond - Alma, la femme animal

Feu

Dans chaque rébellion
il y a un feu
un feu qui arrache
un feu qui embrase
qui manifeste
et qui demande justice

Mais dans ce même feu
il y a le désir  
qui danse avec la passion et l’envie
feu militant, sacré, sauveur et savoureux
loin des interdits, du raisonnable, du stable
ce feu réveille la chaleur
là où tout a été  glacé
de tristesse
de soumission forcée
de manipulation
d’ennui
d’usure
ou de fatigue
le feu soude les luttes
réchauffe les cœurs
rapproche les corps


[…]

Un matin d’été, Alma […] entend le sifflement d’un oiseau. Il est beaucoup plus mélodieux que d’habitude. Elle lève la tête et elle le voit.  C’est une créature magnifique - Un oiseau gigantesque avec des plumes multicolores qui lui tombent sur les pattes. […] Alma attrape l’oiseau merveilleux par le cou et monte sur son dos et ensemble ils s’envolent dans les airs.
Alma ne se retourne pas.

[…] Mais un jour, alors qu’elle est en plein vol elle entend la voix de son grand-père.

« Alma va doucement je suis pressé »

[…] Elle arrête son envol et tombe dans le nid avec son oiseau. Son oiseau est là mais il n’a plus ses plumes multicolores, il est tout gris. Alma se rapproche de lui il est froid. Il lui tourne le dos. Alma tente de se rapprocher de lui mais il reste muet. Brusquement, il se retourne. Il a les yeux rouges, nerveux et il les bouge dans tous les sens. D’un bond il se dresse sur ses pattes et se met à bouger les ailes dans un rythme effréné. Alma a peur. Elle s’éloigne. Ce n’est plus du tout son oiseau enchanteur et multicolore mais une créature maléfique endiablée. Il continue d’agiter ses ailes frénétiquement et quand enfin il arrête cette danse diabolique il tombe sur le sol, épuisé.
Il semble mort. Vite partir rassembler toutes ses affaires. Partir.
Se sauver.
Partir- partir -partir.

Mais alors qu’Alma va franchir la porte, l’oiseau se redresse ouvre ses yeux veineux et de son bec jaillit un fleuve de sang.
Un fleuve de sang qui emporte Alma dans un désert.


Fleuve de sang


Trace de coup - à l’intérieur
et ce fil qui file et défile – le temps
depuis combien de temps
depuis combien de temps
Je ne suis pas sadomasochiste
no soy sadomasoquista

emportée par un fleuve
fleuve de sang
la branche se brise et Alma est là
nue
 recroquevillée sur elle même
plein milieu du désert
ses plumes colorées
sur le sable brûlant
arrachées violemment
rivières de sang séché
empreintes le long du corps
depuis combien de temps



    Alma a l’impression d’être là depuis des jours, des semaines peut être bien des mois. Au-dessus d’elle le soleil  est toujours aussi aveuglant, imposteur. Elle a chaud, elle a le pas lourd, le front coulant, la bouche sèche, le soleil au zénith marque ses épaules d’un rouge criant et lui fait peler la peau. Elle marche et elle a soif, elle a soif elle pleure, elle a soif elle pleure. Elle a soif elle pleure, elle a soif elle pleure …Elle boit tout ce qui de ses yeux jaillit comme une rivière d’eau salée.
Alma est tellement absorbée par ses émotions qu’elle ne se rend pas compte que le désert s’est enveloppé d’un ton bleu argenté et qu’il fait un peu plus frais et qu’au-dessus d’elle un éclat phosphorescent a pris place. Alma tourne tout à fait la tête vers le ciel. […]

« Alma, tes os ne t’abandonneront pas » lui dit la Lune

Alma baisse les yeux et elle se rend compte qu’elle n’a plus des jambes mais des pattes. Qu’elle n’a plus une bouche mais une gueule avec de longues dents pointues et que de sa gueule jaillit un hurlement, un hurlement de louve. Alma est devenue la bête. La bête qu’on dit sauvage, la bête qu’on traque. Mais pourtant elle est toujours la même. Seule une nouvelle force l’habite, une force que personne ne pourrait dompter ou faire taire. Elle se met à courir dans ce désert. Sa fourrure blanche fend ce paysage fait de bleu et la course de l’animal est accompagnée d’étoiles filantes. Comme dans un feu d’artifice. Une passoire scintillante.  Elle voit qu’une étoile se détache et qui danse plus distinctement que les autres.

Elle se rapproche, elle se rapproche de plus en plus. Elle est tout prés. Là, juste dans le creux de son pelage blanc.

« Au moment où tu me vois, je me suis déjà éteinte. Avec mes sœurs nous sommes les gardiennes de ta mémoire. Ceux qui ont de la mémoire peuvent vivre dans le fragile temps présent. Ceux qui n’en ont pas ne vivent nulle part. Alma tes os ne t’abandonneront pas, tu survivras. »

[…] Au loin on voit un groupe de vieilles femmes voilées de noir avancer en regardant le sol. Elles sont une dizaine, elles portent à leur cou et sur leur tête des ossements des créatures du désert. Ces vieilles femmes vivent dans un villages caché perdu dans le désert. Il semblerait -parce que beaucoup ont entendu parler d’elles mais très peu les ont vues- qu’elles soient à la recherche de personnes perdues, égarées, mortes ou assassinées. Et régulièrement elles sortent de leurs tanières pour aller à la recherche de ces âmes oubliées. Depuis des siècles ces vieilles femmes marchent en regardant le sol, leurs longs cheveux blancs au vent, le regard rivé sur le sable à la recherche des moindres ossements. Elles parlent entre elles dans un langage étrange fait de cris et de croassements d’animaux, elles fuient la présence des êtres humains mais jours et nuits elles restent entre elles. Ces vieilles femmes on les appelle : Las Hueseras

Quand les vieilles arrivent juste au-dessus des ossements d’Alma, elles savent qu’elles sont au bon endroit. Elles commencent à gratter la terre et quand elles ont reconstitué la belle architecture blanche de l’animal et que son squelette dans son entier gît sur le sol ; les vieilles femmes font un feu, déposent le squelette à côté des flammes, forment un cercle, se prennent par les mains et ferment les yeux. Une des vieilles femmes, certainement la plus âgée, les joues tombantes, les yeux creusés, le front ridé, la main tremblante, frappe la peau. Plus elle frappe plus les os se mettent à bouger. Bientôt les os se recouvrent de peau.
Et la peau se recouvre de poils.
La louve revient - La louve revient- La loba.
Une des vieilles femmes s’approche de l’animal.
Prend sa gueule entre ses mains.
Dépose sa mâchoire sur son cœur
Et là, la bête ouvre les yeux, bondit sur ses pattes
Et détale dans le désert.
Dans ses mains tremblantes la plus vieille des femmes tient le corps nu d’Alma complètement asséché, la bouche ouverte, elle semble morte. Les autres vieilles femmes se rapprochent du corps et d’un air entendu commencent à l’humidifier mais elles savent toutes qu’elles doivent partir en direction de la falaise. Ce désert surplombe l’océan mais seules las Hueseras connaissent le chemin qui mène jusqu’à la mer. Quand les vieilles femmes sont toutes alignées au bord de la falaise, leurs longs cheveux blancs au vent, la plus vieille des femmes […] fait un pas de plus vers le rebord de la falaise et jette Alma dans l’océan.


Ave Maria mi alma

Mon cœur dans mon corps saigne
et mon sang chauffe dans mes veines
au bain Marie

Sainte Marie Priez pour nosotras
donnez-nous empathie compréhension et douceur
et tout le blablabla de ta Marie pleine de grâce

Priez pour nous et ces pauvres pécheurs
puisque nous sommes la source et  le fruit - la cause et la conséquence
ils peuvent nous brûler les ailes, nous arracher toutes nos plumes,
 nous faire crier, nous prendre et nous prendre pour des folles
nous faire mouiller, nous assécher et nous laisser couler

Oh sainte Marie je vous salue et m’agenouille devant vous
Sainte Marie priez nous mais surtout pour eux ces pauvres pécheurs
qui ont oublié que de Sainte je n’ai rien
sinon mon amour pour la vie
que de sainte je n’ai rien sinon le sacré de mon pouvoir
qui aiguise la force de mon âme pour me relever - me transformer
de sainte je n’ai rien sinon le sacré de mon pouvoir

Ave Maria reza por nosotras
pero sobre todo por ellos, los pecadores
para que no se olviden que de santa no tengo nada
sino lo sagrado de mi poder
que da fuerza a mi alma
para levantarme y transformarme

Et ce n’est pas parce qu’avec mes grands-mères sous emprise
j’ai récité vos prières et regardé « autant en emporte le vent »
que je vous suis
De sainte je n’ai rien que le sacré de mon pouvoir
Je ne crois pas en votre dieu
ni en votre institution
mais au pouvoir de mi alma
De sainte je n’ai rien que le sacré de mon pouvoir
Je ne crois pas en votre dieu
ni en votre institution
mais au pouvoir de mi loba



Fragment de la pièce  « Alma, la femme animal ».
Conte musical & live painting.
(Jouée par le Collectif LaCueva à Lyon, France, juillet 2022).
Écriture et jeu : Aurora Simond
Illustrations et costumes : Arty Mori
Musique et arrangement sonore: Stéphane Reynaud
Soutien à la création: Mercedes Alfonso



* Aurora Simond. Sa plume évolue auprès de sa compagnie de théâtre Teatro Anonimo, la compagnie de danse Instante au Chili -pays où elle a vécu 7 ans- puis à Lyon avec son collectif LaCueva avec qui elle organise entre autres, des scènes ouvertes féministes. « Alma, la femme animal » est son premier récit de création, spectacle féministe, associant récit conté, performance dessinée à l’encre & musique live.



    © Arty Mori






[eng] Begoña Ugalde – The relief after the retch. Notes on Angela Neira's “The orthopedics of language”

    Like any work of art that knows how to dialogue with its space and context, Angela Neira's third collection of poems, published this time by the Spanish publishing house Sabina, raises more questions than answers. Questions that, at the same time, address the paralyzing questions, what we should write about/what we should not write about, which have always been imposed on women writers, and which have historically served as gags, formulated from the disdain or distrust of the power of our voice. 

    Recognizing that it is not enough to reflect on language, but that it is necessary to unravel it, to observe it at its root, and also as a physical organ that has been conditioned, regulated, denied, the author addresses these questions from the same writing gesture. With the lucidity that comes from experiencing how liberating the decision to write can be, in spite of everything. Silence is no longer a comfortable place for us. We no longer accept its over-understanding us in ellipsis, that is to say, we will no longer remain silent, and if the language does not work, we will create another one (p. 56). Now that everything seems to be changing vertiginously, and the old paradigms are finally falling, this collection of poems is a call to realize that there is a canon of "beautiful" words, just as there is a canon of bodily beauty, which tells us how we should look, how to say, how to approach, how to bond. That is why it is no longer surprising to see in the media the most grotesque representatives of patriarchy appropriating "good" words, such as justice, truth, peace. Words that, when spoken from a podium, with confident intonation, become empty and meaningless. But we know that every monument is linked to a war. And that war, besides being a business, is a language that does not really belong to us. It is therefore necessary to deny even the alphabet, which has been taught to us together with punishment, together with the dictation. We must also question the way in which we have been led to believe that time works, through the Gregorian calendar, and reinvent another sequence to order the days, in tune with our cycles and seasons. 

    From the very constitution of the verses, we are reminded that all dictatorships have tried to prohibit the original, non-hegemonic languages. Because trying to homogenize the use of language, to take away its complexity, subtracts identity, suppressing the particular and unique visions and cosmogonies. And, on the contrary, by questioning ourselves, and distancing ourselves from the old paradigms, new certainties emerge: All questions if they are in the first person I answer (p. 54). Thus, recognizing that the imposition of language has been done by domesticating the body, the search for new ways of saying becomes an organic exercise, turning writing into an act of healing and salvation. The exercise Angela proposes then, through a rhythm and a cadence that seem to be heard when read, is to approach words from their performativity. Because the speaker knows that, no matter how much force is used, it is not really possible to extirpate the subterranean language, the one that pulses other meanings and that which ultimately constitutes the poetic saying. Thus, by opening the body as a channel, the poet recovers a first language. And keeping her mouth open, without articulating a word or a cry, she allows the retch to emerge. A retch that in turn allows the purging of the authoritarian tones. Emptying that is consummated in the collection of poems, in each verse, emphasizing its constitution, conceiving the taste buds as new senses, which allow to perceive other flavors, which in turn allow to rearticulate a previous, original and mutable music. Each poem thus functions as an incantation, which allows us to see the words anew, in their form, in their scratches, in their signifier. In this way it re-appropriates them, it frees them from meanings that do not identify us.

  And through this gesture, she vindicates the autobiographical register, which allows us to recover a common experience. Embracing the child, who recognizes her distance from her father's language and the nostalgia of a silenced mother tongue. Who babbles to recover the speech that is composed of guttural rhythms, emphases linked to hunger, thirst, the need for contact. Where phrases, not always decipherable, are interwoven with fluids. Inviting us to listen to this chaotic pulse, to give it oxygen and space in our daily speech and in our writing. To reconfigure a language that incorporates intonations, lexicons, ways of saying, beyond the logos. To decipher silence, at the same time that we move the language, making it sound in a powerful exercise that demystifies and refutes consecrated figures such as Neruda: that language enters/to be as absent/should not be a classic (p. 46). Thus, this visceral writing frees itself from an orthopedics that has hurt us and left deep marks. Like someone who stops wearing a corset, which stiffens the posture, braces that regulate the bite, or insoles that guide the footprint. Like those who get out of the drawing and color the whole page. Like someone who removes the monument. And writes on the walls of the city in flames, with spray, with light, with rage and without fear: that every concept be eliminated/ that every statue be eliminated/ that we root out the inheritance of the father/ from the root (p. 39).



* Begoña Ugalde. Author of numerous plays. She published the collections of poems El cielo de los animales [Animal heaven] (2010, Calle Passy), La virgen de las Antenas [The virgin of the antennas] (2011 Cuneta), Lunares [Lunar] (2016 Pez Espiral), Poemas sobre mi normalidad [Poems about my normality] (2018 Ril), La Fiesta Vacía [The Empty Party] (Tege) and the collection of short stories Es lo que hay [It is what it is] (2021 Alfaguara).



[1] Translated from the Spanish by Andrea Balart.


        © Angela Neira-Muñoz



[fr] Begoña Ugalde - Le soulagement après la nausée. Notes sur « L'orthopédie de la langue » d'Angela Neira

    Comme toute œuvre d'art qui sait dialoguer avec son espace et son contexte, le troisième recueil de poèmes d'Angela Neira, publié cette fois par la maison d'édition espagnole Sabina, soulève plus de questions que de réponses. Des questions qui, en même temps, abordent les questions paralysantes, ce que nous devons écrire/ce que nous ne devons pas écrire, qui ont toujours été imposées aux écrivaines, et qui ont historiquement servi de bâillons, formulés à partir du mépris ou de la méfiance envers le pouvoir de notre voix. 

    En reconnaissant qu'il ne suffit pas de réfléchir sur le langage, mais qu'il est nécessaire de le démêler, de l'observer à sa racine, et aussi comme un organe physique qui a été conditionné, régulé, nié, l'autrice aborde ces questions à partir du même geste d'écriture. Avec la lucidité qui vient de l'expérience de ce que la décision d'écrire peut avoir de libérateur, malgré tout. Le silence n'est plus pour nous un lieu confortable. Nous n'acceptons plus qu'il nous sur-comprenne en ellipse, c'est-à-dire que nous ne nous tairons plus, et si le langage ne fonctionne pas, nous en créerons un autre (p. 56). À l'heure où tout semble changer vertigineusement, et où les anciens paradigmes finissent par tomber, ce recueil de poèmes est un appel à prendre conscience qu'il existe un canon de « beaux » mots, tout comme il existe un canon de beauté corporelle, qui nous dit à quoi nous devons ressembler, comment dire, comment nous approcher, comment créer des liens. C'est pourquoi il n'est plus étonnant de voir dans les médias les représentants les plus grotesques du patriarcat s'approprier les « bons » mots, comme justice, vérité, paix. Des mots qui, lorsqu'ils sont prononcés depuis une estrade, avec une intonation assurée, deviennent vides et sans signification. Mais nous savons que chaque monument est lié à une guerre. Et que la guerre, en plus d'être un business, est un langage qui ne nous appartient pas vraiment. Il faut donc renier même l'alphabet, qui nous a été enseigné en même temps que la punition, en même temps que la dictée. Il faut aussi remettre en question la façon dont on nous a fait croire que le temps fonctionne, à travers le calendrier grégorien, et réinventer une autre séquence pour ordonner les jours, en accord avec nos cycles et nos saisons.

    Dès la constitution des versets, on nous rappelle que toutes les dictatures ont tenté d'interdire les langues originales, non hégémoniques. Parce qu'en essayant d'homogénéiser l'usage de la langue, en lui ôtant sa complexité, on soustrait l'identité, en annulant les visions et les cosmogonies particulières et uniques. Et, au contraire, en se remettant en question, en s'éloignant des anciens paradigmes, de nouvelles certitudes émergent : Je réponds à toutes les questions si elles sont à la première personne (p. 54). Ainsi, en reconnaissant que l'imposition du langage s'est faite en domestiquant le corps, la recherche de nouvelles façons de dire devient un exercice organique, faisant de l'écriture un acte de guérison et de salut. L'exercice que propose alors Angela, à travers un rythme et une cadence qui semblent s'entendre à la lecture, est d'aborder les mots à partir de leur performativité. Car la locutrice sait que, quelle que soit la force employée, il n'est pas vraiment possible d'extirper la langue souterraine, celle qui pulse d'autres significations et celle qui constitue finalement le dire poétique. Ainsi, en ouvrant le corps comme canal, la poète récupère une langue première. Et en gardant la bouche ouverte, sans articuler un mot ou un cri, elle laisse émerger le haut-le-cœur. Un haut-le-cœur qui permet à son tour la purge des tonalités autoritaires. Vide qui se consomme dans le recueil de poèmes, dans chaque vers, en soulignant sa constitution, en concevant les papilles gustatives comme de nouveaux sens, qui permettent de percevoir d'autres saveurs, qui permettent à leur tour de réarticuler une musique antérieure, originale et mutable. Chaque poème fonctionne ainsi comme une incantation, qui nous permet de voir les mots à nouveau, dans leur forme, dans leurs rayures, dans leur signifiant. De cette manière, elle se les réapproprie, elle les libère de significations qui ne nous identifient pas.

    Et par ce geste, elle revendique le registre autobiographique, qui nous permet de retrouver une expérience commune. Embrasser l'enfant, qui reconnaît son éloignement de la langue de son père et la nostalgie d'une langue maternelle réduite au silence. Qui babille pour récupérer la parole composée de rythmes gutturaux, d'emphases liées à la faim, à la soif, au besoin de contact. Où les phrases, pas toujours déchiffrables, sont entremêlées de fluides. Une invitation à écouter cette pulsation chaotique, à lui donner de l'oxygène et de l'espace dans notre discours quotidien et dans nos écrits. À reconfigurer une langue qui intègre des intonations, des lexiques, des manières de dire, au-delà du logos. Déchiffrer le silence, en même temps que nous déplaçons la langue, la faisant sonner dans un exercice puissant qui démystifie et réfute les figures consacrées comme Neruda : que la langue rentre/être comme absente/ne devrait pas être un classique (p. 46). Ainsi, cette écriture viscérale se libère d'une orthopédie qui nous a blessés et laissé des traces profondes. Comme celui qui cesse de porter un corset, qui raidit la posture, des appareils orthopédiques qui régulent la morsure, ou des semelles qui guident l'empreinte. Comme ceux qui sortent du dessin et colorient toute la page. Comme celui qui enlève le monument. Et écrit sur les murs de la ville en flammes, avec de la peinture en aérosol, avec de la lumière, avec rage et sans peur : que tout concept soit éliminé/ que toute statue soit éliminée/ que nous déracinions l'héritage du père/ de la racine (p. 39).



* Begoña Ugalde. Autrice de nombreuses pièces de théâtre. Elle a publié les recueils de poèmes El cielo de los animales [Le ciel des animaux] (2010, Calle Passy), La virgen de las Antenas [La vierge des antennes] (2011 Cuneta), Lunares [Lunaires] (2016 Pez Espiral), Poemas sobre mi normalidad [Poèmes sur ma normalité] (2018 Ril), La Fiesta Vacía [La fête vide] (Tege) et le recueil de nouvelles Es lo que hay [C'est comme ça] (2021 Alfaguara).



[1] Traduit de l’espagnol par Andrea Balart.



        © Angela Neira-Muñoz




[esp] Begoña Ugalde - El alivio tras la arcada. Apuntes sobre “La ortopedia de la lengua” de Angela Neira

    Como toda obra de arte que sabe dialogar con su espacio y contexto, el tercer poemario de Angela Neira, editado esta vez por la editorial española Sabina, plantea más preguntas que respuestas. Preguntas que reparan, a su vez, en los cuestionamientos paralizantes, sobre qué debemos escribir/sobre qué no debemos escribir, que se nos han impuesto desde siempre a las escritoras, y que históricamente han servido como mordazas, formulados desde el desprecio o la desconfianza de la potencia de nuestra voz. 

    Reconociendo que no basta con reflexionar acerca del lenguaje, sino que es necesario desentrañarlo, observarlo en su raíz, y también en tanto órgano físico que ha sido condicionado, normado, negado, la autora aborda estas interrogantes desde el mismo gesto escritural. Con la lucidez que regala experimentar lo liberadora que puede resultar la decisión de escribir, a pesar de todo. Es que el silencio ya no es un lugar cómodo para nosotras. ya no aceptamos su sobreentendernos en la elipsis, Es decir, ya no nos quedaremos calladas, y si la lengua no sirve, inventaremos otra (pág. 56). Ahora que todo parece estar cambiando vertiginosamente, y los viejos paradigmas están al fin cayendo, este poemario es un llamado a reparar en que existe un canon de palabras “bonitas”, tal como existe un canon de belleza corporal, que nos indica cómo debemos lucir, cómo decir, cómo acercarnos, vincularnos. Por eso ya no resulta sorprendente ver en los medios a los representes más grotescos del patriarcado apropiándose de palabras, “buenas”, tales como justicia, verdad, paz. Palabras, que dichas desde un podio, con entonación segura, se vacían y pierden sentido. Pero sabemos que todo monumento está ligado a una guerra. Y que la guerra, además de ser un negocio, es un lenguaje que en realidad no nos pertenece. Es preciso entonces negar incluso el alfabeto, que nos ha sido enseñado junto al castigo, junto al dictado. Cuestionar también la forma en que se nos ha hecho creer que funciona el tiempo, a través del calendario gregoriano, y reinventar otra secuencia para ordenar los días, en sintonía con nuestros ciclos y estaciones. 

    Desde la constitución misma de los versos, se nos recuerda que en todas las dictaduras se han intentado prohibir las lenguas originarias, no hegemónicas. Porque intentando homogenizar el uso del lenguaje, quitarle su complejidad, se le resta identidad, anulándose las visiones y cosmogonías particulares y únicas. Y, por el contrario, al interrogarnos, y distanciarnos de los viejos paradigmas, surgen nuevas certezas: Todas las preguntas si son en primera persona yo respondo (pág. 54). De esta manera, al reconocer que la imposición de la lengua se ha hecho domesticando al cuerpo, la búsqueda de nuevas formas de decir se torna un ejercicio orgánico, volviendo la escritura un acto de sanación y salvataje.  El ejercicio que propone entonces Angela, a través de un ritmo y una cadencia que al leerse parecen escucharse, es aproximarnos a las palabras desde su performatividad. Porque la hablante sabe que, por más que se use la fuerza, no es posible realmente extirpar la lengua subterránea, la que pulsa otros significados y la que en definitiva, constituye el decir poético. Es así como abriendo el cuerpo como canal, la poeta recupera un lenguaje primero. Y manteniendo la boca abierta, sin articular palabra, ni grito, deja que surja la arcada. Arcada que a su vez permite la purga de los tonos autoritarios. Vaciamiento que se consuma en el poemario, en cada verso, poniendo énfasis en su constitución, concibiendo las papilas gustativas como nuevos sentidos, que permiten percibir otros sabores, que a su vez permiten rearticular una música anterior, original y mutable. Cada poema, funciona así como un conjuro, que permite ver a las palabras de nuevo, en su forma, en su rayadura, en su significante.  De esa manera las reapropia, las libera de significados que no nos identifican. 

    Y a través de este gesto, reivindica el registro autobiográfico, que nos permite recuperar una experiencia común. Abrazar a la niña, que reconoce su distancia con la lengua del padre y la nostalgia de una lengua materna silenciada. Que balbucea para recuperar el habla que se compone de ritmos guturales, énfasis ligados al hambre, la sed, la necesidad de contacto. Donde las frases, no siempre descifrables, están imbricadas con los fluidos. Invitándonos a prestar oído a este pulso caótico, a darle oxígeno y cabida en nuestro decir cotidiano y en nuestra escritura. A reconfigurar una lengua que incorpore entonaciones, léxicos, formas del decir, más allá del logos. A descifrar el silencio, al mismo tiempo que movemos la lengua, haciéndola sonar en un ejercicio poderoso que desmitifica y rebate a figuras consagradas como Neruda: que la lengua se entre/para estar como ausente/no debería ser un clásico (pág. 46). Así esta escritura visceral, se libera de una ortopedia que nos ha dolido y dejado marcas profundas. Como quien deja de usar un corsé, que rigidiza la postura, frenillos que norman la mordida, o plantillas que pautean la pisada. Como quien se sale del dibujo y colorea la página completa. Como quien extirpa el monumento. Y escribe en los muros de la ciudad en llamas, con spray, con luz, con rabia y sin miedo: que sea eliminado/todo concepto/ que toda estatua sea eliminada/que saquemos de raíz la herencia del padre/de raíz (pág. 39).



* Begoña Ugalde. Autora de numerosas obras teatrales. Publicó los poemarios El cielo de los animales (2010, Calle Passy), La virgen de las Antenas (2011 Cuneta), Lunares (2016 Pez Espiral), Poemas sobre mi normalidad (2018 Ril), La Fiesta Vacía (Tege) y el conjunto de cuentos Es lo que hay (2021 Alfaguara).



     © Angela Neira-Muñoz